Segals. Ce mot simple pour le titre d’un livre. Segalen, autrement dit Victor Segalen, né à Brest en 1878 et mort mystérieusement dans la forêt de Huelgoat en 1919. Christian Doumet, qui dirigea l’édition des Œuvres de Segalen dans La Pléiade, évoque dans un bel essai à la fois scientifique et poétique tel est le destin de ce médecin de la marine qui fut aussi le voyageur, archéologue et écrivain que nous connaissons.
Voyager avec Segalen, c’est sans doute avant tout une confrontation du réel à l’imaginaire. Son premier voyage remonte à 1902 lorsqu’il a navigué du Havre vers l’Océanie (il avait 24 ans). Les Immémoriaux, son œuvre de la période polynésienne, sont issus de cette découverte. Mais son œuvre ne prend vraiment sens qu’à la rencontre de la Chine. Il y effectue trois voyages, en 1909, 1914 et 1917 (le premier est interrompu par un retour fulgurant en Europe en 1913).
Le livre de Christian Doumet commence par ces mots : « Victor Segalen. Marseille, 25 avril 1909, paquebot Sydney, 11 heures (…) On ne sait pas ce qui pousse un homme vers son Extrême-Orient ». Segalen entreprend cette première expédition en Chine avec Gilbert de Voisins. Il rencontre Paul Claudel en poste à Tien Tsin. Puis il est ici à Pékin, à Chensi, sur le fleuve Yang Tseu, à Shanghai… Il écrit René Leys (intrigue aux allures policières de la vie en Pékin). Il reste à la frontière entre la Mandchourie et la Chine. Stèles est publié en 1912. « On voit bien l’obstination qui l’anime : celle des paysages, sans doute, mais surtout celle des mots », écrit Christian Doumet. .
Il essaie de comprendre leur soif de découverte
Victor Segalen et Gilbert de Voisins, l’auteur de cet essai, les voient « impuissants à sauver quoi que ce soit de ce qui coule : effigies sans attribution, piliers, stèles, plus tard, chimères, temples entiers, jusqu’au tombeau que certains prennent pour un simple colline ». Il essaie de comprendre leur soif de découverte. « Magnifié par quelle curiosité raisonnable ? Sculpture, archéologie, sinologie… ce sont bien sûr les mots qu’ils auraient à la bouche si on leur demandait pourquoi ils marchent. Mais Christian Doumet comprend aussi où est l’erreur. En effet, Segalen n’était pas le seul à arpenter cette Chine à l’époque jusqu’à « éprouver les affres de l’abandon ». Pourtant, dit-il, « Segalen s’identifie parfois à cette compagnie de gens exaltés. Ne voyant pas les ténèbres dans lesquelles cela l’envelopperait. »
Est-ce cette « obscurité » qui peut expliquer la fin tragique de l’écrivain breton ? A l’hôpital maritime de Brest (dont il devient directeur adjoint), « le diagnostic parle un langage vague : neurasthénie lente, mélancolie d’abord chronique, enfin constante ». Dans la forêt de Huelgoat nous découvrirons un homme qui « gisait sur la mousse, plongé dans un sommeil intrépide (…) Ce sera la dernière place. Lieu de buissons, fosses, souches. Les eaux illuminées circulent partout dans les plis des rochers.
Porte Segalen, Christian Doumet, éditions Arléa, 2022, 100 pages, 9 euros