Conte de la semaine – Comment vont les petits paysans picards…

Photo of author
Written By Sophie Ledont

Rédactrice passionnée qui a vécu dans plus de 25 pays toujours à la recherche de la dernière information.

Le Vimeu est considéré comme le berceau du forgeron en France. Quatre siècles de savoir-faire séculaire transmis de génération en génération. Les grands noms de la forge sont toujours implantés dans la région. Nous avons interviewé les descendants de ces pionniers qui nous ont livré le souvenir de leur famille.

C’est dans le Vimeu en Baie de Somme que la forge commence à se développer en France au XVIIème siècle. Mais il faut encore remonter le temps pour comprendre les origines de ce savoir-faire : au temps de l’antiquité.

Jean-Mary Thomas, passionné par le patrimoine local et l’histoire des forgerons, a mené sa propre enquête, qu’il retrace dans un livre Ouvert, Fermé, paru en 2016. « La baie de Somme a été le passage d’envahisseurs, notamment les Vikings. Très tôt Par la suite, les habitants durent apprendre à se défendre. Ils apprirent à forger des armes. Dans la forêt d’Eu et de Crécy on produisait du combustible, du charbon de bois. Cette matière première était tirée de la forêt d’Eu et de Crécy. La Baie de Somme était aussi une axe commercial, en métaux surtout depuis le VIe siècle. C’était un passage obligé pour le trafic. Les Vimeusiens se sont spécialisés dans la forge et le travail du fer. Ils ont appris à maîtriser le métal », explique Jean-Mary Thomas.

Situé dans la partie occidentale de la Picardie et bordé par deux vallées, celle de la Somme au nord et celle de la Bresle au sud, le territoire du Vimeu est traversé par une rivière, la Vimeuse, dont il tire son nom. Sa position géographique, la présence de l’eau et du bois ont favorisé le développement du métier de forgeron.

Pour occuper leur temps l’hiver et s’assurer un petit pécule, les agriculteurs de ce petit territoire de Picardie forgèrent le fer et se mirent peu à peu à fabriquer des serrures. « Les paysans travaillaient dans ce qu’on appelait des boutiques, une petite pièce en bord de route. On en comptait environ 500 de Saint-Valery à Mers, en passant par Abbeville. Il y avait des serruriers partout », indique Jean-Mary Thomas.

Atelier de forge à Feuquières-en-Vimeu

© Albert Demangeon. Picardie et régions limitrophes. Éditions A. Colin.

Petit à petit la maîtrise s’affine et le travail se précise. « Le travail était minutieux. Il ne fallait pas une demi-heure pour faire une serrure mais dix jours, parfois deux mois. On parlait de secrets de fabrication, d’un mécanisme minutieux comme une horloge », explique le passionné.

La croissance des villes et le rapport à la propriété évoluent progressivement. Les besoins, liés à la protection du « domicile », évoluent. C’est Louis XIV qui, pour équiper le château de Versailles, devient le premier client le plus important du Vimeu. « Versailles c’était des milliers et des dizaines de milliers de serrures et de crémones. Les grossistes parisiens s’approvisionnaient chez les petits forgerons du Vimeu. La proto-industrie est née à cette époque, c’est-à-dire que la production n’est vendue qu’en dehors de la région », explique Jean -Marie Thomas. Les marchands de serrures recherchèrent donc une main-d’œuvre qualifiée qu’ils trouvèrent parmi les paysans vimeusiens. La consommation parisienne de serrures est d’autant plus importante que la capitale est le lieu d’une redistribution vers les autres villes du royaume.

Forge à Ault

©Ardouin Dumayet. Extrait de voyages en France

La forge devient un métier noble. Le nom exact est aussi « Maître Forgeron ». Le travail dans les ateliers du Vimeu est parfois organisé avec le maître, les compagnons, les apprentis et les vendeurs, mais la plupart du temps l’atelier est familial et la femme du maître y travaille également. L’apprentissage des enfants commence à l’âge de 12 ans et dure de quatre à cinq ans car il y a beaucoup de compétences à acquérir. L’atelier est un lieu de transmission des savoirs.

Au XVIIIe siècle, de nouvelles techniques apparaissent au fur et à mesure de l’évolution des modes de vie. Les laboratoires s’agrandissent. Elle produit des serrures pour portails et portes d’entrée, verrous, serrures pour portes. La production est très variée et devient plus complexe. Nouveau sont les serrures pour les armoires et les tiroirs. Chaque village a sa spécialité. Les serrures de sûreté sont principalement fabriquées à Feuquières, les cadenas à Fressenneville, les leviers (petites serrures qui ne ferment pas et qui s’ouvrent en tournant une olive ou un bouton plat) à Belloy, Béthencourt et Friville, et les clés à Dargnies et Woincourt.

À Lire  Manche. Thomas, électricien, a fondé son entreprise après le décès de son père

La révolution industrielle accélère la production dans le Vimeu. « Des grossistes et marchands de quincaillerie parisiens sont venus s’y installer. Ils ont investi leur capital après la Révolution française, au XIXe siècle. Ils ont construit des fonderies. Certains forgerons locaux y ont également installé leurs usines. Les autres ont rejoint ces nouvelles entreprises. » Le Vimeu s’est alors implanté. dans la production de serrures à grande échelle.

Maquennehen et Imbert puis usine Bricard à Friville-Escarbotin

© Jean-Marie Thomas

Laperche, Debeaurain, Guerville Riquier, FTH Thirard, Couillet, Bricard, Picard, ces noms sont restés ancrés dans le Vimeu et représentent l’un des patrimoines du territoire. Ces familles sont les pionnières de la forge en France. Des entreprises familiales pluriséculaires qui ont été, pour la plupart, rachetées par de grands groupes français ou étrangers. Mais nous avons pu échanger avec les descendants des fondateurs de l’entreprise qui ont conservé le statut familial.

« Deux siècles après les premiers pas de mes ancêtres, nous sommes toujours là »

Vincent Cahon-Couillet, directeur de Robert Couillet et Cie

Vincent Cahon-Couillet est le huitième du nom. Directeur de l’entreprise de forge Robert Couillet et Cie, à Yzengremer, il a recherché l’origine de son grand-père. « Il semble qu’Hilaire Ducastel avait 17 ans lorsqu’elle a créé la manufacture en 1811. Elle était originaire de Dargnies, un village à quelques kilomètres d’Yzengremer. D’après les documents que nous avons retrouvés, elle était la descendante d’une lignée de forgerons. Au début, elle a mis en place de petits ateliers de forge et d’assemblage », nous raconte Vincent Cahon-Couillet.

Usine Ducastel puis Robert Couillet et Cie à Yzengremer

© Robert Couillet & Cie.

A la fin du 19ème siècle, un descendant Ducastel épouse Monsieur Couillet et l’entreprise grandit. En 1890, la famille construit un grand bâtiment pour abriter l’usine et les bureaux. « C’est toujours le bâtiment principal de notre entreprise. Un bâtiment industriel typique de l’époque, en brique. Deux siècles après les premiers pas de mes ancêtres, les travaux continuent. Nous sommes toujours là, dans le Vimeu, dans une petite structure qui trouve sa place parmi les grands groupes de forgerons », assure le directeur de l’entreprise. L’usine et ses huit employés produisent aujourd’hui des systèmes de fermeture à clé carrée et triangulaire pour la quincaillerie industrielle.

« Avant de mourir, mon grand-père était devenu le petit roi des serrures. »

Jean-Pierre Chivot, PDG de l’entreprise de serrurerie Thirard FTH

D’autres pionniers sont arrivés plus tard, au début du XXe siècle. C’est le cas de Fernand Thirard qui fonde sa société de cadenas en 1920 à Fressenneville. « Mon grand-père travaillait à Paris, chez Citroën. Il est revenu ‘à la campagne’, certainement avec l’idée de monter son affaire. A Fressenneville, la spécialité était les cadenas. Il y avait entre 80 et 90 artisans dans le village. Au début, Fernand faisait de l’artisanat, tout à la main », précise Jean-Pierre Chivot, directeur général de l’entreprise de serrurerie Thirard FTH, également basée à Fressenneville. La production n’était alors pas très importante et la Seconde Guerre mondiale ralentit encore plus le marché. « Pendant la guerre, mon grand-père a continué à travailler. Ses clients lui ont fourni de bons matériaux pour acheter de la tôle et du laiton pour fabriquer des cadenas », explique-t-il.

Après la guerre, le capital revient à nouveau et le chef de l’entreprise installe la première presse automatique Vimeu, qui permet d’automatiser la production. « Quand mon grand-père est mort dans les années 60, il n’y avait pas de quincaillerie qui ne le connaisse pas. Il avait développé son activité techniquement et créé un réseau commercial en France et dans les colonies, en Afrique notamment. Avant sa mort, il était devenu le petit roi du cadenas », s’amuse Jean-Pierre Chivot.

Catalogue des cadenas fabriqués dans l’usine Thirard FTH au début du 20ème siècle