Contrairement aux coursiers sur les plates-formes d’ubérisation, les applications de « commerce rapide » ne sont pas payées à la livraison. Ils sont sous contrat et disposent même d’un véhicule de travail.
Livreurs en CDI, mobilité propre ou assurance en queue, pression et contrats flous en face : si le « fast trade » laboure un champ social laissé en jachère par les plateformes d’ubérisation, l’avenir dira si ce modèle s’est présenté le plus vertueux survit.
« Nous offrons des conditions de travail compétitives par rapport à tout ce qui existait auparavant », se félicite Henri Capoul, le patron de Cajoo, le spécialiste français de la livraison rapide à domicile.
Les « dark stores » (supermarchés sans clients) offrent en effet une multitude d’avantages auxquels les coursiers ne sont pas habitués : contrats et assurances mutuelles, mais aussi évolution professionnelle, équipement de la personne, téléphones et vélos ou trottinettes électriques fournis, toilettes, voire coupons de réduction.
Le fonctionnement est sensiblement le même partout : les préparateurs de commandes passent par ces « dark stores » et la poste livre une poignée d’envois en un temps record.
« Quand une célèbre enseigne de pizza acceptait de livrer en moins de 30 minutes, le taux d’accidents des livreurs augmentait », se souvient Berker Yagci, le patron France de Getir. 10 minutes est notre temps moyen, mais nous ne communiquons jamais sur nos délais de livraison. »
« Il faut aller le plus vite possible, mais pas à tout prix », confirme Leo, qui a troqué son vélo cargo contre le scooter électrique de Getir. « On n’est pas payé à la livraison, c’est plus serein ».
Des livreurs salariés, un « frein à la rentabilité »
« Quand tu es indépendant, tu n’as pas d’assurance. Là, je suis couvert, je cotise à une retraite », compare aussi Barry. À Cajoo, cependant, ce n’est que temporaire.
Elle assure que la pression pour respecter les délais est « énorme » et rappelle que Frichti proposait massivement des CDI à ses débuts avant de reprendre l’auto-entrepreneuriat.
Le patron de Getir reconnaît que son modèle peut « évoluer dans le futur »… « Nous sommes dans une zone grise, explique-t-il. « Nous devons adapter des règles conçues pour d’autres modèles. La législation doit refléter ce besoin de changement. »
Elus du personnel en approche
« Les salariés permettent aux syndicats de s’intégrer et, petit à petit, d’obtenir plus de mesures de protection », décrypte Karine Sanouillet, spécialiste du commerce de détail. « Le thème de la représentation est central ».
Le patron de Getir affirme avoir déjà défini une convention collective et veut « intégrer les partenaires sociaux » prochainement. « Le siège de Cajoo a déjà un CSE et maintenant nous allons faire de même pour les sites opérationnels. Nous faisons bien les choses », ajoute Henri Capoul.
Les directeurs disent aussi augmenter l’équipe de nuit et rémunérer mieux le travail du dimanche, dans le respect des conventions collectives.
Des entreprises qui « naviguent à vue »
Or, les salariés « sont divisés (dans les conventions collectives de) l’épicerie, de la vente à distance ou de la logistique par exemple, moins protectrices que l’accord de la grande distribution », déplore Carole Desiano (FO).
« Ces boîtes sont lancées, elles naviguent en vue », ajoute-t-il, regrettant l’existence dans certains de clauses de mobilité qui permettraient à l’employeur de rompre unilatéralement les contrats.
Dans l’entreprise qui l’emploie, Mehdi a dû accepter de renoncer à son augmentation de salaire de nuit. Ce livreur anonyme, qui s’estime menacé par son activité syndicale, regrette également d’avoir été embauché comme livreur alors qu’il agit comme « agent polyvalent ». « Donc, nous sommes moins payés. »
« Le matériel n’est pas en bon état », fustige à son tour Karim, préparateur de commandes qui reproche à Getir de favoriser l’ouverture de nouveaux magasins. « Cela a fonctionné pendant les premiers mois, mais maintenant, chaque véhicule a un problème », dit-il devant un scooter avec un pneu crevé.