[CONVERSATION] Alexandre Medvedowsky, les stratégies d’entreprise dans un monde fragmenté [partie 2/2]

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Written By Sophie Ledont

Rédactrice passionnée qui a vécu dans plus de 25 pays toujours à la recherche de la dernière information.

A l’occasion de la publication de leur livre Stratégies d’entreprise dans un monde fragmenté, Xavier Desmaison et Alexandre Medvedowsky incitent les chefs d’entreprise français à s’interroger sur les nouvelles formes de concurrence qui minent l’économie mondiale. Face à la crise AUKUS, la guerre en Ukraine et l’affaire Photonis, combien d’entreprises françaises ont retrouvé les liens les plus économiques qu’elles partageaient avec l’Etat français ? La diplomatie d’affaires, une priorité de l’État pour les entreprises françaises ?

PIE : Alexandre Medvedowsky, pensez-vous que nous ayons tiré de réelles leçons de l’incident que nos partenaires AUKUS ont fait avec le contrat de Naval Group en Australie en septembre 2021 ?

AM : En relativisant, j’ai peur de dire que la victoire de Naval Group en Australie a été un grand succès, mais nous n’avons rien commencé d’intéressant. La scène artistique était complexe et la concurrence rude. Il s’agit du succès d’une entreprise avec sa belle technologie. Cette victoire n’était pas un hasard; c’était bien préparé, bien organisé et toutes les méthodes d’affaires, de lobbying et d’influence française. En fait, la séquence des événements s’est déroulée de manière très instructive.

Cependant, dans un contrat d’armement de cette taille, il y a du temps pour que l’eau coule sous les ponts entre la signature du premier contrat et sa mise en œuvre commerciale. Il existe de nombreuses occasions de négocier des partenariats locaux, de les remettre en cause ou de les détruire. Il est apparu que Naval Group et les Français ont rapidement levé leurs radars, incapables de maintenir le renseignement de sauvetage, la surveillance, le soft power et les affaires diplomatiques. Ils ont sous-estimé les railleries du Japon et de l’Allemagne ; ils n’ont pas non plus considéré AUKUS, une coalition d’intérêts fortement encouragée par les Britanniques et soutenue par les Américains dont la vision est de stopper l’expansion de la Chine dans l’Indo-Pacifique. Pour Naval Group, l’affaire du siècle s’est avérée ne pas être l’affaire du siècle.

Avons-nous tiré des leçons de cette défaite ? Naval Group n’y manquera certainement pas. De là au fait que toutes les entreprises françaises l’ont fait aussi, ce n’est pas certain, et c’est aussi la raison pour laquelle nous avons décidé d’écrire ce livre.

PIE : Quelle est la vision de l’Etat et des entreprises françaises en matière de souveraineté dans cette compétition économique internationale ? Le cas de Photonis a été très controversé en 2020, risque-t-on de répéter le même exemple avec l’éventuelle utilisation d’Exxelia par Heico Corporation ?

AM : Il n’y a pas de vue dans l’appareil d’État. Même si des structures comme le SISSE ou le SGDSN ont des fonctions techniques fortes, les départements peuvent avoir des avis différents sur un même sujet, en fonction de lectorats différents.

Dans le cas de Photonis, Bercy a estimé que Photonis est une entreprise très soucieuse des questions de sécurité, sa technologie de vision nocturne n’entrant pas dans le périmètre de la sécurité du propriétaire de la France. Le ministère de la Défense pensait en revanche que sa vente était une décision spéciale et qu’il était important de la protéger de l’attaque américaine. Personne ne savait exactement où irait l’équilibre jusqu’à ce que des cercles extérieurs, y compris l’Observatoire français d’intelligence économique (OIEF), que je dirige, gère. Après un examen détaillé et approfondi, nous nous sommes autorisés à soutenir, objectivement et sans hésitation, la position du ministère de la Défense. Il n’est pas rare qu’une technologie d’une telle importance quitte la France. La direction de Photonis s’inquiétait de cette protestation car elle n’était pas sûre qu’il y ait une autre solution. Ils ont finalement été retrouvés et, heureusement, notre technologie a été sauvée.

C’est aussi la raison pour laquelle l’Observatoire s’est saisi du cas d’Exxelia et nous cherchons attentivement à voir si cette entreprise peut passer sous le contrôle de pays étrangers sans porter atteinte à la souveraineté de notre pays. Notre réponse à ce stade doit rester française et nous le disons haut et fort.

PIE : L’État français fait face au déclin de sa puissance dans le monde, alors que les États-Unis, l’Allemagne, l’Inde et la Chine continuent de renforcer leur position. De quels outils faibles la France a-t-elle besoin pour s’armer afin de faire ses preuves dans le nouveau monde, caractérisé par des enjeux tels que la rivalité sino-américaine, le réchauffement climatique, la renaissance du nationalisme ou le chaos dans la chaîne d’approvisionnement ?

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AM : Nous sommes partagés entre le sentiment que notre influence diminue partout et les éléments de maintien de la puissance française (siège au Conseil de sécurité des Nations unies, nucléaire, etc.). Je ne crois pas trop à cette partie de notre travail et je pense que la place de la France dans le monde est toujours en baisse et qu’il faut réagir vite.

Parmi les principaux piliers du rayonnement d’un pays, il y a d’abord et avant tout l’éducation et la formation. Apprendre le français, écoles et lycées français à l’étranger, universités et entreprises d’ingénierie ou de commerce font partie de cet héritage d’éducation pour l’élite du monde. Ce système reste efficace ce qui est en déclin. Le budget qui lui est alloué n’est pas suffisant.

De plus, c’est une politique des visas injuste, déraisonnable, stupide qui entrave l’arrivée sur notre sol d’étudiants étrangers. Non acceptés par nous, ils vont dans les universités anglo-saxonnes (Angleterre, États-Unis, Canada) ou pire, en Chine ou en Russie, contribuant à exclure tous les groupes d’élites internationales de notre culture, de notre pays et de la francophonie élargie.

A cet aspect pédagogique, il faut ajouter les trésors du rayonnement de l’information et de la voix de la France. Nous avons la chance d’avoir des radios publiques (France 24, RFI, TV5 Monde). Servent-ils vraiment les empires français dans le monde ? On peut en douter. Or, ce sont des publicités financées par le contribuable français. Je suis d’accord que nous adhérons à l’indépendance de leur rédaction, mais seulement jusqu’à un certain point. Leur rôle est de participer à une politique de rayonnement de la France dans le monde. Regardez et comparez la politique éditoriale d’Al-Jazeera avec son infrastructure numérique AJ+ et vous verrez comment un petit État comme le Qatar est un puissant outil publicitaire aux quatre coins de la planète. Est-ce le modèle à suivre ? Je ne sais pas, mais le nôtre est définitivement un modèle expérimental.

La faiblesse dépend aussi de l’amour. En Afrique en particulier, et plus généralement dans les pays en voie de développement, les Anglo-Saxons (par l’église évangélique), le Qatar encore, la Turquie, l’Arabie Saoudite développent des actions pour soutenir les programmes d’éducation, les femmes isolées, les orphelins, la reconstruction des quartiers pauvres, etc. . . Ces politiques d’aide illimitées sont toutes efficaces et très efficaces en termes de pouvoir faible, où nos agences sont enfermées dans la bureaucratie, l’argent et donc le manque de visibilité.

Et enfin, le faible pouvoir du travail d’équipe. Nos entreprises répondent à des appels d’offres, passent des contrats dont les informations sont souvent rédigées par des experts internationaux travaillant pour le compte de gouvernements ou d’autorités. Le cadre de la réforme qui a été faite est généralement établi après des études approfondies commandées à de grands cabinets de conseil internationaux. Ces collaborateurs, consultants, sociétés de conseil internationales sont majoritairement anglo-saxons ou de culture anglo-saxonne. Ils recommandent et introduisent des changements, des informations qui, en général, nuisent aux entreprises de notre pays. Ce sont aussi de dangereux instruments de pouvoir faible qui contribuent à notre perte d’influence dans le monde.

Mon observation est peut-être dure, mais c’est généralement juste. Si nous voulons que notre pays et nos entreprises maintiennent leur position dans le monde, nous avons besoin d’un plan clair dans le domaine de l’administration publique et des finances, de la technologie et du personnel, qui ne coûte pas cher la plupart du temps, dans le cadre d’un partenariat public-privé. partenariats.

Interview de Luc de Petiville