Des origines rurales
Derek Kelsall est originaire d’une famille modeste et est né le 15 mai 1933 au Pays de Galles. Son père, ouvrier agricole, et sa mère, institutrice, lui ont inculqué les valeurs traditionnelles. En tant qu’étudiant, il a rejoint l’Université de Bristol, mais n’a pas pu terminer son cours en raison d’un manque de finances.
Dans le cadre de son service militaire, il a été déployé pendant une année entière au Kenya. A son retour, il entre dans l’industrie pétrolière en étant employé par BP.
Après ce début de carrière dans les pays du golfe Persique, il est envoyé travailler au Texas.
Une transat en course avec son premier multicoque
C’est durant cette période, dans les Caraïbes, que Derek s’initie à la construction et au maniement des multicoques. Il a un pécule pour la première fois de sa vie qui lui permet de devenir skipper, il construit un trimaran en contreplaqué de 35 pieds appelé Folâtre. Dessiné par Arthur Piver, ce trimaran est gréé et ne possède pas de lest, ce qui était la norme à l’époque.
Puis heureusement, épaulé par sa jeune épouse Clare, Derek s’engage dans la deuxième édition de la Transat anglaise en 1964 et entame la fameuse transatlantique entre Plymouth et Newport. Il est avec des concurrents comme Francis Chichester et Éric Tabarly, qui le mentionne dans ses mémoires comme « un ingénieur séduisant, dont la capacité à créer la surprise avec les alizés ».
Grâce à des conditions favorables, Folâtre prend un bon départ, mais casse son avance après cinq jours de course. Après des réparations à Plymouth, Kelsall repart et boucle le périple en 34 jours, tandis que Tabarly franchit la ligne d’arrivée en vainqueur après 40 jours de mer.
Le pionnier du trimaran océanique
S’appuyant sur les mérites et le potentiel d’un multicoque dans une course au large, Kelsall met à profit sa formation d’ingénieur et conçoit Toria, un triple de 45 pieds. Visionnaire, Derek a apporté à sa flotte de nombreuses innovations qui inspireront la course au large pendant des années.
Construit en sandwich sur une base en mousse Airex, Toria possède de longs flotteurs volumineux, fixés à la coque centrale par deux bras parallèles. Sa surface mouillée est réduite, car il navigue sur deux coques lorsqu’il est sous voile. Sailing Toria est sans doute le microcosme des coureurs océaniques, le monocoque étant toujours choisi dans la culture européenne.
Derek invite Tabarly à Toria lors d’un convoyage dans le sud de l’Angleterre. De retour en France, Tabarly est surpris par les performances du trimaran anglais et se lance dans la conception du Pen Duick 4. Mais pour des raisons de culture et de coût, il se tourne vers l’architecte français André Allègre pour ce trimaran à concevoir. longueur 68 pieds. Kelsall regrettera longtemps que ce projet innovant n’ait pas été demandé.
La technologie de construction en sandwich mousse, mise au point par Kelsall, intéresse Sir Thomas Lipton, qui lui demande de construire un monocoque de 60 pieds pour s’aligner pour le départ d’Autriche en 1968. Suite à quelques avaries, Derek finira à la 5ème place de cette édition , remporté par Sir Thomas Lipton. Tabarly et son Pen Duick 4, victime d’une collision avec un cargo, devront rebrousser chemin.
1970-1980 : l’essor du trimaran de course
Au début des années 1970, Derek connaît un nouveau succès dans la conception de trimarans, avec Toria Triffle, Three Legs of Mann et Trumpeter qui brillent dans les régates anglo-saxonnes. En 1973, il construit pour Chay Blyth le Great Britain 2, qui est le plus grand bateau composite de son époque.
Dans les années 80, toutes les courses océaniques se tournent vers les trimarans. Les projets entrent dans cette course à l’innovation, à laquelle font majoritairement confiance les skippers britanniques.
Face aux « froggies », Kelsall conçoit un triple de 52 pieds, VSD, avec lequel Eugène Riguidel et Gilles Gahinet remportent la Transat Lorient-Bermudes-Lorient en double en 1979, devant Marc Pajot et… Éric Tabarly.
Fort de ce succès, Riguidel fait confiance à l’architecte anglais en lui commandant un immense trimaran de 93 pieds, William Saurin, qui est le plus grand trimaran du monde à sa mise à l’eau.
Une carrière dans la plaisance
Après cela, Derek Kelsall a quitté le microcosme de la course au large pour se consacrer à la conception de bateaux de plaisance. Il conçoit de nombreux yachts de croisière et multicoques.
Il a développé une technique de construction navale, KSS pour Kelsall Swiftsure Sandwich, qui consiste à couper des panneaux composites plats au lieu de les mouler, améliorant ainsi la productivité du chantier naval. Cette technique, qui a été utilisée pour la construction de petits ferries ou de yachts de croisière, ainsi que des productions en série comme le Space 55, le Suncat 40 et l’Islander 39 et des modèles plus grands comme le 70 pieds My Way.
Une retraite active chez les kiwis
Après la mort de sa femme Clare, Derek s’est rendu en Nouvelle-Zélande dans les années 90 pour construire un catamaran de 72 pieds. Tombé amoureux du pays, il décide de s’y installer et de poursuivre son activité de dessinateur naval. Il donnera ensuite ses derniers coups de crayon avant de s’éteindre à l’âge de 89 ans le 11 décembre 2022.