Éco-activistes verts en colère

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Written By Sophie Ledont

Rédactrice passionnée qui a vécu dans plus de 25 pays toujours à la recherche de la dernière information.

Ils ont moins de 30 ans et, du fait de l’inquiétude face à l’avenir et au réchauffement climatique, les actes de désobéissance civile se multiplient à travers de nombreux groupes. Blocages de la circulation, perturbation d’événements sportifs, pillage d’œuvres d’art ; tous les moyens sont bons pour choquer l’opinion publique et réveiller une classe politique qu’ils jugent peu à la hauteur. Une éco-anxiété qui ne convainc pas lorsqu’elle devient trop radicale.

Une salle comble et un silence de cathédrale. Ce mercredi soir, à l’Académie du climat à Paris, Thibault, militant du collectif Dernière Rénovation, prêche devant une cinquantaine de spectateurs. Curieux, impatients, amis. La plupart ont moins de 30 ans. La situation est grave. Il est urgent. L’objectif de cette rencontre : inciter les citoyens à s’engager dans la désobéissance civile, «  l’une des seules possibilités qui nous reste pour nous sauver  ». Pour le collectif, les manifestations, pétitions, grèves, et autres contestations des élus ne sont plus à la hauteur. Il ne fait que légitimer désormais, la « résistance » citoyenne, à agir en profondeur.

Né en février 2022, le collectif Last Renovation s’est fait connaître grâce à des actions spectaculaires : barrages routiers, perturbation du Tour de France, du tournoi de Roland-Garros ou encore destruction d’œuvres d’art. Plusieurs initiatives dont le sens est souvent difficile à saisir. Sa revendication principale est cependant bien précise : faire respecter la loi de réhabilitation thermique des bâtiments pour limiter les émissions de gaz à effet de serre. Mais leurs actions consistent surtout à proclamer l’imminence de la catastrophe. Avec plusieurs de ses homologues étrangers – Just Stop Oil en Angleterre, Letzte Generation en Allemagne ou Save Old Growth au Canada – Last Renovation fait partie du réseau A22. Un mouvement qui coordonne les actions de dix collectifs de dix pays différents. Ces groupes critiquent le déni, la lenteur ou l’inaction de leurs gouvernements qui, dans le cadre de l’Accord de Paris de 2015, se sont pourtant engagés à limiter le réchauffement climatique à 1,5°C.

En France, la Convention citoyenne pour le climat (CCC) a laissé un goût amer. 146 propositions radicales et citoyennes retenues, mais adoucies ou disséquées par le Parlement. Parmi elles, justement, la mise en place obligatoire de la réhabilitation thermique des bâtiments. Désabusés, ces groupes écologistes s’appuient désormais sur le poids de l’opinion publique pour faire pression sur les politiciens. Cependant, son fonctionnement diffère de celui des mouvements traditionnels : ils ne sont plus constitués en organisations ou associations mais en campagnes et collectifs. Quant aux recrues, elles s’adaptent aux citoyens qui vont et viennent, selon leur temps disponible et leur énergie : sans engagement explicite ni militants enrôlés. Son financement confidentiel provient en grande partie du Climate Emergency Fund, un fonds d’investissement américain, garant du réseau A22, ainsi que de dons de particuliers. Les actions se succèdent, à la recherche du buzz : des militants de Just Stop Oil se sont récemment collés à des buts de football en plein championnat d’Angleterre et ont jeté de la soupe sur le verre d’un tableau de Van Gogh. Début 2023, quatre militants d’Última Renovación ont aspergé les portes de l’hôtel Matignon et du ministère des Finances de peinture orange. Chacun a été condamné à une amende de 750 euros assortie de l’obligation de suivre un cours de citoyenneté. Diffusés dans les médias, sur les réseaux sociaux, ces gestes indignent certains, tandis que d’autres soutiennent qu’ils mettent l’urgence au premier plan. N’est pas sûr.

Le message sur l’urgence climatique est-il effectivement transmis de cette manière ? Il faut bien admettre que ces actions médiatisées ont souvent pour seule conséquence le mécontentement du public. C’est la limite des nouveaux groupes. Dans les vidéos du journaliste indépendant Clément Lanot, filmées sur le périphérique ou sur l’autoroute, les militants sont insultés, émus, brutalisés par des automobilistes pressés ou indifférents à leurs manifestations. L’essayiste Antoine Bueno, auteur de L’effondrement (du monde) n’aura (probablement) pas lieu (Flammarion, 2022), juge ces actions à double tranchant : « En entretenant cette atmosphère d’actions répétées et de pression permanente, les militants entretiennent leur demandes sur l’agenda politique. En revanche, je ne suis pas sûr que cela sensibilise vraiment les gens. Aujourd’hui, tout le monde est conscient du problème. L’enjeu n’est pas de savoir qu’il y en a un, mais de trouver comment agir. question partagée par François Gemenne, co-auteur du rapport très alarmant du GIEC. Dans son essai L’écologie n’est pas un consensus, il estime que « La réduction du discours écologique à un discours apocalyptique fait facilement passer les écologistes pour des prophètes de malheur qui se nourrissent de troubles et méprise les solutions […]. Il s’agit avant tout de comprendre quels messages peuvent atteindre le public. De nombreux militants estiment au contraire qu’en ce qui concerne l’urgence climatique, toute couverture médiatique, même mauvaise ou incomprise, est bonne.

Les politiques en plein déni

Il en va de même avec des mouvements plus consolidés comme Greenpeace, Alternatiba ou Extinction Rébellion (XR), qui reconnaissent l’efficacité de ces événements et avec qui Last Renovation partage le combat. Mais alors que ces derniers pratiquent des gestes symboliques (bloquer des routes, escalader des tableaux, etc.), les actions dirigées d’Extinction Rebellion ne laissent planer aucun doute sur leurs revendications. Engagé auprès de XR dans les Bouches-du-Rhône, « Goupil » est intervenu fin novembre dans le port de Marseille-Fos pour protester contre les navires de croisière (dont l’activité produit 20% des émissions d’oxyde d’azote d’origine maritime). Avec son groupe, aux côtés d’Acción nonviolente Flic 21 ou Stop croisières, ils ont interrompu l’activité du port, les débardeurs et la réunion du conseil de surveillance du port qui accueillait Christophe Castaner, son nouveau président. En plus de ces initiatives inédites, le trentenaire se mobilise une fois par semaine pour la campagne d’action nationale de XR « Ceci n’est pas Versailles ! » qui appelle à l’extinction diurne et nocturne de toutes les enseignes lumineuses, une autre proposition du CCC que le groupe considère comme «  effilochée par le gouvernement  ».

Début janvier, XR UK, la première branche de l’organisation, a même annoncé qu’elle suspendait « ses coups de poing » au profit d’une grande manifestation contre le gouvernement britannique en avril prochain. Avec une population de plus en plus sensibilisée à l’urgence climatique, le groupe entend rassembler davantage de voix et de participation pour faire pression par le biais d’un soutien populaire, au prix d’actions scandaleuses. Une option stratégique que l’on peut également trouver en ligne. Sur les réseaux sociaux, les campagnes et pétitions portées par des militants influents comme Camille Étienne gagnent en visibilité. Reliés par des hashtags populaires comme #lookdown qui militent contre l’exploitation minière des fonds marins, ou bien #StopEACOP qui s’oppose à la construction d’un oléoduc TotalEnergies en Afrique, ces mouvements de lutte gagnent le quotidien des internautes, et notamment les jeunes.

En Europe, l’été 2022 a ravivé le malaise écologique. Les catastrophes climatiques ne se limitent plus aux zones reculées ou traditionnellement exposées. La canicule a lieu en Inde comme en France ; les incendies touchent la Californie, le Péloponnèse, mais aussi la Gironde et la Bretagne. La menace se rapproche. Ce qui exacerbe les craintes des citoyens dont les groupes militants sont le principal soulagement. Ses actions soulignent une impasse : le contraste saisissant entre un consensus théorique désignant l’homme comme la cause du réchauffement climatique, le soi-disant Anthropocène, et l’absence d’un véritable changement de direction. Si l’humanité est responsable, comment ne peut-elle pas collectivement faire la paix ? Conséquence de cette impuissance constatée : une augmentation de « l’éco-anxiété » ainsi définie par la Fondation Jean-Jaurès : « Inquiétude d’anticipation pouvant être provoquée par les différents scénarios établis par les scientifiques. »

Pour les psychiatres, ce malaise écologique n’est pas une pathologie mais une réaction rationnelle à la situation. Judith Anderson est psychothérapeute et membre de la Climate Psychology Alliance, une organisation spécialisée dans les effets du changement climatique sur la santé mentale. Elle décrit les symptômes, qui vont du chagrin à la colère en passant par une perte de passion et de désir. La psychiatre spécialisée Lise Van Susteren parle de «  trouble de stress pré-traumatique  ». Cet état psychologique peut toucher n’importe qui, bien que les adolescents et les jeunes adultes l’expriment davantage. « Beaucoup de jeunes ont le sentiment d’avoir été dépouillés de leur avenir ou de celui de leurs enfants », explique Judith Anderson, qui donne tout son poids aux mots célèbres de Greta Thunberg (« Tu as volé mes rêves avec tes mots vides… « ). Depuis sa création, Última Renovación affirme avoir accueilli plus de 1 200 personnes lors de réunions publiques d’embauche, la plupart dans la vingtaine et la trentaine. Depuis avril, ils sont passés de 10 à 300 personnes mobilisées pour des actes de désobéissance civile.

Une démarche soutenue par Johanne Mâlin. Originaire de Mayenne, cette étudiante en journalisme est fille d’agriculteurs. Au fil des années, son « écologie de l’habitude » s’est politisée, l’éco-anxiété prenant le dessus, accompagnée d’une colère contre l’inertie gouvernementale. Elle considère la désobéissance civile comme légitime et comme l’expression de l’angoisse citoyenne. « Commettre des actes absurdes est le seul moyen de montrer aux politiciens à quel point nous sommes terrifiés. On ne sait plus quoi faire pour se faire entendre », confie-t-il. Une panique exacerbée par le déni climatique propagé par certains commentateurs, politiques, journalistes ou internautes. En 2022, par exemple, Camille Étienne a été cyberharcelée après une intervention dans la matinale de France Inter. Les groupes du Réseau A22 ont bien saisi ce climat de peur et s’empressent de l’entretenir.

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Publié le 2 juillet 2022 à 20h12, mis à jour le 3…

« L’horreur qui nous guette »

Retour à la réunion publique du dernier renouvellement. Un certain Jonathan annonce la couleur : « Ce que vous allez découvrir ce soir n’est pas facile à écouter », avant de donner la parole à Thibault. Pour convaincre, le jeune militant ne s’en cache pas : il parle d’abord aux sentiments. Pour lui, sortir du « déni du petit temps » est une nécessité et implique « de relier émotionnellement les faits ». La peur de l’effondrement est pressante. Car pour agir, « il faut sentir dans nos tripes l’horreur qui nous attend ». Ainsi, la peur peut, en plus d’être vécue comme particulièrement légitime, se nourrir d’elle-même. Il ne s’agit plus de se débarrasser d’un affect que l’on éprouve comme signe d’une vérité.

Cette légitimation de la peur a accompagné, comme l’atteste le philosophe Hans Jonas dans Le Principe de responsabilité, la montée de l’écologie politique. Déjà en 1979, il définissait la prise de conscience de l’urgence d’agir : « Qu’est-ce qui peut servir de boussole ? L’anticipation de la menace elle-même ! Elle a précédé plusieurs générations et bon nombre de militants qui voient aujourd’hui, parfois à juste titre, une forme de déni dans l’absence d’éco-anxiété. Mais il faut mesurer l’ampleur de l’inversion philosophique expliquée par Jonas. Si auparavant la peur pouvait être associée à un risque d’irrationalité, elle est devenue l’indice d’une clairvoyance sur les risques inhérents à notre modèle de Le témoignage d’Arthur, qui a barré les chemins avec Last Renovation, témoigne de ce changement de paradigme. Choqué par l’urgence climatique, il considère la «  résistance civile  » comme le meilleur moyen de se battre, sous prétexte de «  ça se sent vivant là-bas ». Une illusion de vérité, trahie par des émotions fortes et l’adrénaline de l’illégalité.

D’autres, cependant, se méfient de cette pression émotionnelle. Pour Goupil, également salarié de l’association de protection animale L214, « l’excitation est un bon début pour sensibiliser, mais pas sur le long terme. Assurer une action efficace, c’est faire preuve de pragmatisme, savoir prendre du recul. C’est ce qui, à mon avis, a le plus de chances de mobiliser l’opinion publique. » En première ligne de la désobéissance civile, le Réseau A22 s’immisce d’abord dans le quotidien des gens. Face à la menace du réchauffement climatique, ils ne le font pas. les groupes pétroliers et les institutions qui fournissent mais d’abord les automobilistes ou les consommateurs, pour qui l’éco-anxiété et les alertes catastrophiques ne sont pas une priorité.La fin est proche ?Sûrement.Mais de quelle « fin » parle-t-on ?

Des écologistes hors-sol ?

Pour illustrer ce dialogue de sourds, François Gemenne revient sur la crise des Gilets qui, selon lui, « a permiso de measurer l’opposition qui pouvait exister, pour une partie importante de la population, entre “fin du monde” et “fin du mois » […]. C’est pourquoi l’écologie politique est souvent accusée d’être déconnectée : les écologistes apparaissent à la surface, déconnectés des préoccupations prosaïques de la population. » En 2019, selon le ministère de la Transition écologique, les émissions de CO2 représentaient près de 97 % des gaz à effet de serre liés aux transports. 94% sont dus au transport routier, et la moitié d’entre eux proviennent des voitures particulières. Mais si la grande majorité des ménages français possèdent au moins un véhicule, c’est surtout la hausse du prix des carburants qui, dans un contexte d’inflation et de crise énergétique, les inquiète.

« Ces actions créent une division entre les gens. J’ai des valeurs écologiques profondes, mais je me sens plus proche des gens bouleversés par les barrages routiers », déplore Jules Enezian, qui souffre pourtant d’éco-anxiété. diplômé de l’École des mines de Paris a vu «  le sens de sa vie a changé  » du fait de sa conscience écologique. Pourquoi être ingénieur ? Est-il raisonnable de fonder une famille ? Pourtant, il s’interroge sur la légitimité des actes de désobéissance civile. Pour lui , «  les Verts apparaissent avant tout comme des conférenciers, plus susceptibles de contrarier le peuple que de travailler à la transition.  Cette « résistance civile » a été qualifiée d' »éco-terrorisme » par le ministre de l’Intérieur, Gérald Darmanin, un terme qui lie ces militants à l’ultra-gauche, un abus de langage selon le journaliste Christophe Bourseiller, qui explique que ces nouveaux groupes militants n’ont rien à voir avec le radicalisme. rda déteste les médias et ne cherche pas à faire parler de lui. Il veut créer des mouvements de révolte populaire par des actions clandestines qui donnent l’exemple », comme le sabotage d’antennes relais, d’installations de fibre optique ou d’éoliennes. En 2022, 104 actions de ce type ont été enregistrées en France, selon le ministère de l’Intérieur. « Au contraire, poursuit Bourseiller, des groupes comme Just Stop Oil veulent épater les gens avec des cascades et des événements médiatiques. C’est plus du théâtre de rue que des black blocs. »

Très minoritaire, ce noyau dur représente, selon lui, moins de 2000 personnes sur tout le territoire français. Partisans d’une écologie radicale issue de l’anarchisme et de l’anticapitalisme, ils vont d’une zone à défendre (ZAD) à une autre et vivent en communauté. Quelques personnalités et groupes plus modérés viennent parfois les soutenir. Le dernier exemple en date est l’arrestation de Greta Thunberg, icône mondiale de la lutte écologiste, lors d’une manifestation dans une ZAD de Lützerath, en Allemagne, luttant contre l’expansion d’une mine de charbon. Les images du jeune Suédois en possession de la police allemande ont fait le tour du monde, servant ainsi à faire la lumière sur la cause. Mais la mobilisation a accéléré l’évacuation de quelques centaines de militants, qui se battaient depuis deux ans. L’impact de ces méthodes est donc mineur ou ponctuel.

Capitalocène plutôt qu’anthropocène

En revanche, son anticapitalisme trouve parfois des échos. Des groupes comme Les Amis de la Terre, en France, ou Deep Green Resistance, aux États-Unis, prônent un « capitalocène » plutôt que « l’anthropocène », pour clarifier la responsabilité du système capitaliste dans le réchauffement climatique et, en même temps le temps, nom de la convergence des luttes, dans l’ensemble des inégalités sociales. Sexisme, racisme, précarité : nous opposons le « capital » comme un grand méchant. Coïncidant avec la nécessité de « changer le système », elles supposent une intentionnalité dans ce qu’il faut combattre. C’est le cas par exemple des Land Uprisings, qui luttent non seulement contre l’agrobusiness mais aussi « contre la législation du travail, les violences policières, le racisme, le sexisme, et l’apocalypse climatique . Le groupe est actuellement dans le collimateur de l’intelligence territoriale mettant en avant «  un changement radical  ». Le problème est que la spontanéité du «  système  » dont il tenterait de sortir empêche le succès de l’entreprise. Dans La Dynamique du capitalisme (1985), l’historien Fernand Braudel montre que le capitalisme est le résultat d’une lente évolution. Personne ne l’a inventée, stricto sensu, comme une structure qui serait sortie de l’histoire et qu’on pourrait aujourd’hui démolir. Il parle d' »innombrables gestes hérités, accumulés, désordonnés, répétés indéfiniment jusqu’à nous […] qui décident pour nous tout au long de notre existence ». Enfin, si l’impact de l’homme sur le climat est bien documenté, s’acharner à trouver une cause unique au problème est, selon François Gemenne, une perte de temps, voire un « caprice d’enfant gâté ». Avec ou sans renversement du capitalisme, l’urgence dicte d’être efficace plutôt que révolutionnaire.

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