Fichiers Uber : révélations dangereuses

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Written By Sophie Ledont

Rédactrice passionnée qui a vécu dans plus de 25 pays toujours à la recherche de la dernière information.

Entre 2013 et 2017, Uber a utilisé de nombreuses méthodes peu scrupuleuses pour parvenir à ses fins et ainsi s’implanter durablement dans de nombreux pays. Photo : Cabinet d’avocats Tingey Injury / Unsplash.

« Uber Files » : c’est le nom de l’enquête, qui a révélé que l’entreprise américaine avait joué avec les limites de nombreuses lois pour s’implanter durablement dans de nombreux pays, dont la France. Un consortium de 42 médias internationaux, dont le français Le Monde et franceinfo, mené par The Guardian, couvre toutes les méthodes et techniques utilisées par Uber pour gagner.

Relation entre Uber et Emmanuel Macron, économistes mariés pour publier des sondages favorables à l’image de l’entreprise, pratiques à la limite de la légalité, voire totalement illégales, stratégies d’expansion agressives… Retour sur les révélations des dossiers d’Uber.

Uber Files : cinq questions pour tout comprendre

Uber Files : cinq questions pour tout comprendre

Autour de cinq questions clés, nous revenons sur les grandes lignes du métier d’Uber Files, qui rappelle toutes les méthodes, techniques et pratiques que l’entreprise utilise pour ses intérêts personnels.

Comment le consortium de médias travaillant sur l’affaire a pu obtenir toutes ces informations ?

Pour consolider toutes les informations liées aux UberFiles, The Guardian a obtenu environ 124 000 documents et les a partagés avec le Consortium international des journalistes d’investigation (ICIJ), datant de 2013 à 2017, grâce à une source anonyme. Il comprend des e-mails, des messages d’anciens dirigeants d’Uber, des présentations, des factures et des notes factuelles.

Pourquoi la révélation de ces informations est-elle choquante ?

Les centaines de milliers de documents obtenus par The Guardian marquent certaines des actions brutales de l’entreprise depuis 2013. Les méthodes utilisées par l’entreprise pour s’implanter dans le monde violent de nombreuses lois et ont provoqué des perturbations sans fin dans de nombreux pays, le tout dans un seul but : briser le monopole des taxis. L’entreprise n’a pas hésité à mettre en œuvre des pratiques pouvant conduire à un empêchement judiciaire pour retarder ou annuler les enquêtes dont elle faisait l’objet.

Est-ce qu’Uber a utilisé certaines de ces méthodes en France ?

La réponse est oui. L’enquête montre qu’Emmanuel Macron et l’entreprise ont échangé régulièrement pendant la période où l’actuel président de la République était ministre de l’Économie (2014-2016). Certaines pratiques ont été utilisées pour s’assurer que des lois ou des décrets puissent être adoptés ou abrogés pour favoriser l’implantation d’Uber en France. Des pratiques peu orthodoxes, où le géant américain sortait parfois son chéquier pour convaincre les économistes de soutenir l’arrivée massive d’Uber en France, justement pour le bien de l’économie française.

A noter qu’Uber a adopté des tactiques similaires dans d’autres pays de l’Union européenne comme la Belgique, les Pays-Bas, l’Espagne et l’Italie.

Quelles méthodes Uber a-t-il utilisées pour faire du lobbying ?

Pour promouvoir leur marque auprès de tous les gouvernements et résidents des pays où ils souhaitaient s’implanter, Uber n’a pas hésité à payer des économistes pour mener des études sur mesure et défendre l’entreprise dans les médias. Une belle image qui a permis à l’entreprise de s’attirer les faveurs du grand public, ce qui a sans doute aidé Uber à bien s’implanter en France comme ailleurs.

Des patrons de grandes marques et d’excellents hommes d’affaires ont également été contactés par le groupe pour investir quelques millions d’euros dans leur entreprise. L’objectif était donc de persuader le gouvernement français, par son influence, d’établir Uber à long terme.

Quelles étaient les conditions de travail pour les chauffeurs partenaires d’Uber ?

Les victimes de la machination Uber entre 2014 et 2016 n’ont pas hésité à faire appel à certains chauffeurs pour faire part de leurs inquiétudes. Alors qu’Uber se bat pour s’implanter en France, il lance un service de covoiturage urbain. Bien sûr, ce service est en fait un service VTC qui était considéré comme illégal en France à l’époque.

De nombreux chauffeurs ont pu conduire l’entreprise sans statut d’indépendant ni assurance pour le transport de personnes. Certains chauffeurs, convaincus d’être des chauffeurs de taxi, n’ont pas hésité à emprunter les couloirs de bus. Beaucoup d’entre eux ont donc reçu des amendes qu’ils ont dû contester devant les tribunaux.

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Les débuts difficiles et la stratégie d’expansion agressive d’Uber en France

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En 2011, Uber s’installe en France dans un contexte particulier : aucune législation ne réglemente le service qu’elle propose, à savoir la mise en relation des clients et des voitures particulières avec le chauffeur (VTC). A l’époque, les taxis y voyaient une concurrence déloyale et des manifestations ont commencé dans toute la France en 2013. Face à la montée des tensions, le gouvernement a progressivement tenté de mettre en place une réglementation pour encadrer les deux concurrents, Taxis et VTC.

Si le vêtement s’use lentement, et sent que son implantation en France risque d’échouer, Uber va mettre en place une stratégie agressive. C’est dans ce contexte que la société lance UberPop à Paris. Contrairement au service Uber classique, chaque individu a la possibilité de s’improviser chauffeur, même si cela est illégal, notamment avec le vote de la loi Thévenoud confirmant cette illégalité.

Des procès sont alors intentés contre Uber, des arrêtés municipaux ou préfectoraux interdisent le service dans certaines villes françaises, et les locaux d’Uber sont visés par des perquisitions. Néanmoins, l’entreprise poursuit sa stratégie d’expansion.

Pour empêcher certaines recherches, une fonctionnalité est même développée sur les ordinateurs d’Uber, le kill switch. Ce bouton d’urgence formate toutes les données d’un ordinateur en un clic et coupe l’accès aux ordinateurs et aux données internes, de sorte qu’aucun fichier compromis ne soit trouvé en cas de recherche. Cet outil d’obstruction a été activé 13 fois entre novembre 2014 et décembre 2015 dans sept pays : France, Inde, Belgique, Pays-Bas, Canada, Hongrie et Roumanie.

Alors qu’elle tente de bloquer toute action en justice, l’entreprise trouvera des soutiens importants…

Emmanuel Macron, partenaire privilégié d’Uber

Emmanuel Macron, partenaire privilégié d’Uber

Avant de devenir président de la République, Emmanuel Macron a été ministre de l’Économie, de l’Industrie et du Numérique dans le gouvernement de Manuel Valls, pendant deux ans sous la présidence de François Hollande. Durant cette période (2014-2016) elle a été l’une des plus sujettes à un développement massif d’Uber en France. Il a été un véritable soutien pour l’entreprise, même en tant que partenaire privilégié. Dans le cadre de cette « collaboration », Emmanuel Macron ou ses proches conseillers auraient échangé avec l’entreprise au moins 17 fois, soit en moyenne un échange par mois.

Lors de cet échange, l’actuel président de la République a reçu des amendements, rédigés par Uber, qui ont été passés aux députés sans la moindre modification, afin qu’ils soient revus pour leur intégration dans la loi Macron, en janvier 2015. Même s’ils étaient les derniers. refusée, l’esprit principal de ces changements sera repris dans un décret : si initialement, 250 heures étaient nécessaires pour former un conducteur de VTC, une seule journée de formation suffit pour obtenir son permis.

En 2015, Laurent Nunez, ancien préfet de police des Bouches-du-Rhône, avait interdit les courses Uber privées à Marseille. Le contexte était très compliqué à l’époque du fait de la colère des taxis, voyant une bonne partie de leurs clients sur les VTC. Emmanuel Macron est personnellement intervenu dans cette décision et le lobbyiste Mark MacGann l’a contacté pour qu’il se penche sur la question. Quelques heures plus tard, la préfecture des Bouches-du-Rhône a révoqué sa préfecture et publié un nouvel arrêté dans les jours suivants, probablement sur les conseils de Mark MacGann.

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Contrairement à Emmanuel Macron, Bernard Cazeneuve, ancien ministre de l’Intérieur au moment des faits, est clairement revenu sur l’arrivée massive d’Uber en France. Lors d’une réunion avec des représentants d’Uber, il s’est fâché et a déclaré « qu’il n’est pas possible d’avoir des discussions avec des interlocuteurs qui ne respectent pas la loi française. […] UberPop doit s’arrêter maintenant.

Uber fait alors à nouveau appel à Emmanuel Macron, qui calme le jeu, et quelques mois plus tard le décret est signé concernant le nombre d’heures de formation des chauffeurs VTC. Même si Uber avait sans doute réussi à s’implanter durablement en France, les conditions pour les chauffeurs auraient sans doute été différentes.

Quand Uber tente de soudoyer des économistes et d’impliquer des hommes d’affaires

Quand Uber tente de soudoyer des économistes et d’impliquer des hommes d’affaires

De passage à Paris le 21 janvier 2015, Travis Kalanick, fondateur d’Uber et ancien PDG de l’entreprise, veut convaincre deux hommes d’affaires français d’investir dans son entreprise. Le premier est Xavier Niel, le fondateur de l’opérateur téléphonique Free, le second, Bernard Arnault, PDG de LVMH et l’un des plus gros actifs au monde. A eux deux, ils gardent plus de 35 milliards d’euros. Ironiquement, ce n’est pas leur argent qui intéresse Travis Kalanick, mais l’influence politique qu’ils peuvent avoir.

C’est le début du « Cheetah Project », un tour de financement stratégique de plusieurs centaines de millions de dollars. Dans chaque pays à fort enjeu, Uber a identifié des investisseurs potentiels ayant une telle influence sur le gouvernement qu’ils pourraient devenir leurs lobbyistes VIP : en Italie, l’ancien président du conseil d’administration Silvio Berlusconi ; en Espagne, les footballeurs Cristiano Ronaldo et Leo Messi ; en Russie, l’oligarque Roman Abramovich, propriétaire du club de football de Chelsea.

En France, la priorité est donnée à Bernard Arnault, considéré comme « influant sur la situation réglementaire française ». En revanche, après réflexion, l’entreprise semble faire confiance à Xavier Niel, jugé plus « naturel » et vu comme « le grand défenseur d’Uber ». Au début, Travis Kalanick a réussi à convaincre les deux grosses fortunes d’investir quelques millions d’euros dans Uber. Mais la situation va dégénérer pour Uber quelques mois plus tard, ce qui influencera fortement la volonté des deux hommes d’investir dans l’entreprise. Le projet Cheetah n’a pas fonctionné comme l’entreprise l’avait espéré.

En même temps, Uber joue sur un plateau différent. Au printemps 2014, l’image d’Uber en Europe est écornée. Elle est considérée comme une entreprise qui crée une nouvelle classe d’emplois sous-payés avec des avantages inexistants. Pour tenter de redorer son image, une dirigeante d’Uber a glissé une idée dans un e-mail : « Ce qui nous manque tant en France actuellement, ce sont des preuves scientifiques ou académiques précises pour étayer nos arguments. »

Alors que faire? Commander une enquête sérieuse pour montrer les avantages d’Uber pour l’économie d’un pays ? Trop long pour une entreprise qui n’a pas de temps à perdre. Pour obtenir un soutien académique, le groupe se tourne vers Augustin Landier, un talentueux professeur d’économie régulièrement invité par les médias.

Avec David Thesmar, co-auteur, l’économiste s’engage en principe à mener une étude pour le compte d’Uber. La somme de 100 000 euros est mise sur la table, et début 2016, les deux spécialistes publient leur étude, largement relayée par les médias français et internationaux, mais aussi par des organismes comme Pôle emploi. Heureusement, l’étude est positive : Uber serait un formidable créateur d’emplois et les chauffeurs de la plateforme gagnent presque le double du SMIC.

L’application est aux anges, mais la réalité est bien différente : les évaluations des deux chercheurs ne tiennent pas compte de ceux qui n’utilisent plus l’application. De plus, le résultat est un salaire brut, sans déduction des cotisations URSSAF, de l’achat d’un véhicule, du carburant ou des assurances. Néanmoins, Augsutin Landier s’est mis d’accord avec l’entreprise pour défendre coûte que coûte ces chiffres dans les médias.

En revanche, Nicolas Bouzou, économiste et chroniqueur de télévision, aurait été payé au moins 10 000 euros pour rédiger une analyse prouvant qu’avec une législation plus souple, Uber pourrait être à l’origine de milliers d’emplois supplémentaires en France. L’économiste a directement contesté ces faits au Monde, qui a révélé cette information. Pour lui, ce travail est indépendant et transparent, propre à sa pratique.

Des chauffeurs pris en porte à faux par Uber

Des chauffeurs pris en porte à faux par Uber

Ce sont sans aucun doute les grands perdants des machinations orchestrées par Uber. Victime de la stratégie d’expansion agressive d’Uber, les chauffeurs ont servi de cobayes aux expérimentations de l’entreprise. Si les craintes des automobilistes s’estompent peu à peu quelques mois après la sortie d’UberPop en France, les difficultés vont vite s’accumuler.

Fin 2014, il sera tard. Un festival électrique ferme ses portes à Lyon. De nombreuses personnes utilisent les taxis ou les VTC, dont UberPop, pour rentrer chez eux. Les taxis se rendent compte qu’une partie de leur clientèle ne va pas vers eux, mais vers les voitures particulières. Les chauffeurs de taxi exprimeront alors leur mécontentement en dégradant les véhicules utilisés par les utilisateurs d’UberPop. De plus en plus, les chauffeurs de taxi affichent leur mécontentement vis-à-vis des VTC.

Les chauffeurs de VTC commencent à se plaindre auprès d’Uber, en envoyant des courriers ou en essayant de contacter l’entreprise par téléphone, mais celle-ci ne répond pas. « Les gens d’Uber nous ont dit que c’est compliqué en ce moment, et qu’il faut en gros gérer ça », raconte l’un des anciens chauffeurs d’UberPop au Monde.

En interne, l’entreprise sait qu’UberPop est illégal et que ses chauffeurs risquent d’être poursuivis s’ils sont arrêtés par les forces de l’ordre. L’entreprise envoie alors des campagnes d’e-mails pour rassurer les chauffeurs en leur disant qu’elle les accompagnera en cas de problème avec la loi. Rien ne va arriver.

Pour attirer de plus en plus de conducteurs, l’entreprise propose des bonus afin qu’ils puissent gagner plus d’argent. Jusqu’en 2018, année de la fermeture d’UberPop, la situation était intenable et de nombreux chauffeurs ont été abandonnés par Uber, en plus de mauvaises conditions tarifaires, et les poursuites judiciaires contre ses chauffeurs se sont multipliées.

Uber Files : Que faut-il retenir ?

Après une arrivée difficile en France entre 2011 et 2013, où Uber peine à s’implanter en France et où les lois françaises ne vont pas dans son sens, l’entreprise va mettre en œuvre sa stratégie agressive d’expansion. En quelques mois, elle a lancé UberPop, un service de covoiturage entre particuliers, qui s’apparente beaucoup à un service de mise en relation de particuliers avec des VTC, illégal en France à l’époque.

Les chauffeurs utilisant cette plateforme seront des cobayes, Uber se dégagera de toute accusation criminelle si ses chauffeurs sont arrêtés par la police. Pour bloquer les poursuites judiciaires, Uber a même utilisé un outil pour formater chaque ordinateur et le séparer automatiquement en un clic de la base de données interne de l’entreprise.

En parallèle, Uber tentera de faire bonne figure auprès du gouvernement français, mais aussi auprès du grand public. D’une part, l’entreprise travaillera avec Emmanuel Macron, alors ministre de l’Économie, pour apaiser les tensions au sein du gouvernement et faire adopter des décrets favorables à Uber dans la loi Macron. En revanche, l’entreprise engagera des économistes à forte influence médiatique pour leur proposer de grosses sommes d’argent contre la publication d’enquêtes ou d’articles faisant l’éloge d’Uber. Enfin, le groupe tentera de profiter de l’influence politique des grands patrons en investissant dans Uber.

C’est par l’usage de toutes ces méthodes à la limite de la légalité, voire illégales, qu’Uber a réussi à s’implanter assez rapidement et durablement en France.