Gérard Rangama est un leader qui se souvient d’où il vient. Fin 2018, le mouvement social des « gilets jaunes » a pris des proportions exceptionnelles à La Réunion. De nombreuses routes sont bloquées, l’île est paralysée.
Les manifestants ont installé l’un de leurs camps de base non loin de l’aéroport de Saint-Denis, à quelques dizaines de mètres du siège de sa société, Soleil Réunion. « Un soir, se souvient ce dernier, je suis allé partager un repas avec eux, autour d’un feu de bois. Ils m’ont dit que mes produits étaient trop chers. J’ai détaillé mon prix de revient, mes dépenses. On s’entendait bien et certains gilets jaunes sont devenus mes clients. «
Une seconde chance
L’entrepreneur n’a pas peur des rebelles. Elle en faisait partie il y a un peu plus de trente ans, quand éclata en 1991 une violente crise sociale après la saisie des émetteurs de Télé Liberté, un diffuseur de télévision non autorisé qui pratiquait la diffusion gratuite.
Le quartier populaire de Chaudron, créé dans les années 1960 près de Saint-Denis, était alors le théâtre de pillages et d’affrontements incessants avec la police. A l’époque Gérard Rangama, fils de ces propriétés, avait 25 ans. Il s’y était installé jeune : sa famille, très pauvre, venait d’obtenir un logement social et avait quitté l’un des bidonvilles de la capitale de La Réunion.
Mais la violence n’est pas pour lui. Son agressivité la canalise dans la salle de boxe du quartier. En échec scolaire, il est admis au Régiment du Service Militaire Adapté, un programme conçu pour donner une seconde chance aux jeunes inactifs à l’étranger.
Gérard Rangama apprend quelques notions de base de la gestion administrative puis s’aventure dans la vie associative « avec des jeunes un peu perdus, comme moi, qui se retrouvent en bas des immeubles. Quand les émeutes ont éclaté on s’est dit : profitons de la tempête pour faire entendre notre voix ». Avec quelques amis, il fonde l’Association des Jeunes Dirigeants de La Réunion, pour lutter contre la fatalité du chômage de masse.
Innovation sociale
Il a une idée : créer du business en transformant des produits locaux – fruits, poivrons, légumes… – et en les revendant sur les marchés. « Je n’avais ni l’argent ni le savoir-faire, mais beaucoup de conviction et, sans aucun doute, le sens de la communication. «
Son approche constructive a séduit le procureur, l’évêque de l’île et les chefs d’entreprise qui l’ont soutenu. En 1997, un groupe de distribution décide de promouvoir les produits réunionnais dans les grandes métropoles. Il a fallu envoyer des ambassadeurs, répond Gérard Rangama avec son équipe.
A son retour, il crée sa propre entreprise, Soleil Créole, puis dépose la marque Soleil Réunion. Son activité est restée très artisanale pendant de nombreuses années, jusqu’en 2008 où il intègre une salle d’expérimentation agroalimentaire de la Chambre de Commerce. Il se familiarise avec du matériel plus professionnel et est ensuite admis à l’incubateur de La Réunion Technopole pour développer la préparation à grande échelle du « baba figue », la fleur de bananier.
Dans 500 boutiques de métropole
A Soleil Réunion, l’innovation est aussi sociale. Gérard Rangama recrute principalement des jeunes dans le besoin, parfois SDF ou sortis de prison. Avec une bienveillance infinie, « un seuil de tolérance élevé pour pardonner les fautes » et l’accompagnement de contrats d’insertion par l’activité, il parvient à structurer une équipe.
En 2009, il ouvre une boutique dans le hall des départs de l’aéroport de Roland-Garros, qui rencontre à ce jour un grand succès. Sa participation au Salon de l’Agriculture et les médailles qu’il y collectionne lui permettent de se faire connaître au-delà des frontières de l’île : ses produits sont aujourd’hui présents dans 500 magasins en France métropolitaine.
En 2014, Soleil Réunion a investi 2 millions d’euros, avec l’aide d’un fonds de participation, pour construire sa petite usine agro-alimentaire dans la zone d’activités à proximité de l’aéroport. L’entreprise emploie actuellement 25 personnes et réalise un chiffre d’affaires de 3 millions d’euros.
« Je suis un gestionnaire prudent, analyse Gérard Rangama. Je gagne 2 400 € nets par mois et je conduis la même petite voiture depuis dix ans. J’ai connu des échecs mais je reste fidèle au type de management que j’ai choisi, je continue à accueillir des jeunes en difficulté, des handicapés… » Dernière reconnaissance, il y a deux ans, l’évêque de La Réunion pendu au revers de sa veste , la médaille de l’Ordre National du Mérite.
1991. Création de l’association des jeunes leaders de La Réunion