Publié le 13 juillet 2022 à 11.00
Gérard Rangama est un patron qui se souvient d’où il vient. Fin 2018, le mouvement social des « gilets jaunes » a pris des proportions exceptionnelles à La Réunion. De nombreuses routes sont bloquées, l’île est paralysée.
Les manifestants ont installé l’un de leurs camps de base non loin de l’aéroport de Saint-Denis, à quelques dizaines de mètres du siège de sa société, Soleil Réunion. « Un soir, souvenez-vous de ce dernier, je suis allé manger avec eux autour d’un feu de camp. Ils m’ont dit que mes produits étaient trop chers. J’ai détaillé mon prix de revient, mes dépenses. On s’en est bien tiré, et quelques gilets jaunes. sont devenus mes clients. »
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Une seconde chance
L’entrepreneur n’a pas peur des rebelles. Il en faisait partie il y a un peu plus de trente ans lorsqu’une violente crise sociale éclata en 1991 suite à la saisie des émetteurs par Télé Liberté, une chaîne de télévision non autorisée qui pratiquait la diffusion gratuite.
Le quartier populaire de Chaudron, créé dans les années 1960 près de Saint-Denis, est alors le théâtre de pillages et d’affrontements incessants avec la police. A cette époque, Gérard Rangama, enfant de ces domaines, avait 25 ans. Il s’y était installé quand il était jeune : sa famille, très pauvre, venait de se voir confier une cité HLM et avait quitté l’un des bidonvilles de la capitale réunionnaise.
J’ai connu des échecs, mais je reste fidèle au type de leadership que j’ai choisi, je continue à accueillir des jeunes en difficulté, des handicapés…
Mais la violence n’est pas pour lui. Son agressivité, il la canalise dans la gymnastique de boxe du quartier. Lorsqu’il a échoué à l’école, il a été enrôlé dans le régiment de service militaire adapté, un programme conçu pour donner une seconde chance aux jeunes chômeurs d’outre-mer.
Gérard Rangama apprend quelques principes de base de la gestion administrative puis s’implique dans la vie associative « avec des jeunes un peu perdus, comme moi qui suis au bas des immeubles. Quand les émeutes ont éclaté, on s’est dit : profitons de la tempête pour faire entendre nos voix. » Avec quelques amis, il fonde l’Association des Jeunes Leaders de La Réunion, pour lutter contre les morts du chômage de masse.
Innovation sociale
Une idée lui vient : Créer de l’activité en transformant des produits locaux – fruits, poivrons, légumes… – et en les revendant sur les marchés. « Je n’avais ni argent ni savoir-faire, poursuit-il, mais beaucoup de conviction et sans doute le sens de la communication. »
Son approche constructive a séduit le procureur de la République, l’évêque de l’île et les chefs d’entreprise qui l’ont soutenu. En 1997, un groupe de distribution se lance dans la promotion des produits réunionnais dans les grandes métropoles. Il a fallu envoyer des ambassadeurs, répond Gérard Rangama avec son équipe.
A son retour, il crée sa propre société, Soleil Créole, puis dépose la marque Soleil Réunion. Son activité est restée très artisanale pendant de nombreuses années, jusqu’en 2008, date à laquelle il intègre une halle d’essai agro-alimentaire à la Chambre de Commerce. Il se familiarise avec du matériel plus professionnel et est ensuite admis à l’incubateur de La Réunion Technopole pour développer la cuisson à grande échelle du « baba figue », l’inflorescence du bananier.
Dans 500 boutiques de métropole
Chez Soleil Réunion, l’innovation est aussi sociale. Gérard Rangama recrute principalement des jeunes en difficulté, parfois SDF ou sortant de prison. Avec une bienveillance infinie, « un haut seuil de tolérance au pardon des fautes » et un accompagnement des contrats d’insertion par l’activité, il parvient à structurer une équipe.
En 2009, il ouvre une boutique en salle d’embarquement à l’aéroport de Roland-Garros, qui rencontre encore aujourd’hui un grand succès. Sa participation au salon de l’agriculture et les médailles qu’il y a récoltées lui permettent de se faire connaître hors des frontières de l’île : ses produits sont aujourd’hui disponibles dans 500 magasins en France métropolitaine.
En 2014, Soleil Réunion a investi 2 millions d’euros via un fonds de participation pour construire sa petite usine agroalimentaire dans la zone d’activités à proximité de l’aéroport. L’entreprise emploie actuellement 25 personnes et réalise un chiffre d’affaires de 3 millions d’euros.
« Je suis un gestionnaire prudent », analyse Gérard Rangama. Je gagne 2 400 euros nets par mois, je conduis la même petite voiture depuis dix ans. J’ai connu des échecs, mais je reste fidèle au type d’animation que j’ai choisi, je continue à accueillir des jeunes en difficulté, handicapés… » L’ultime reconnaissance, il y a deux ans, pendait l’évêque de La Réunion au revers de la veste. , la Médaille de l’Ordre National du Mérite.
Les dates clés
1991. Création de l’Association des Jeunes Leaders de La Réunion
1997. Création de l’entreprise individuelle Soleil Créole et de la marque Soleil Réunion
2014. Mise en service de l’usine Soleil Réunion qui compte 25 salariés