25.07.2022 | « On ne pourra pas réussir la transition agrobiologique s’il n’y a pas d’effort financier et si la nouvelle économie, la nouvelle définition de la croissance, perd », estime Alain Rousset.
Dans un long entretien accordé à Aqui, mi-juillet, le président de la Région Nouvelle-Aquitaine, fait de l’économie circulaire un axe fort de la politique économique régionale, avec la priorité sur la transition climatique et environnementale. Un prisme qu’il applique de l’agriculture à la santé en passant par l’industrie.
@ ! : On se retrouve alors que les incendies brûlent des hectares de forêt en Gironde…
Alain Rousset : Les conditions sont malheureusement réunies pour une « méga fête ». Et le réchauffement climatique y est pour quelque chose. On passe en mode survie, avec beaucoup de retard en Europe et notamment en France sur le sujet. La région compte 450 scientifiques travaillant sur l’objectivation et la connaissance depuis plus de 10 ans.
Il y a des décisions à prendre par l’État, qui nous confie des responsabilités et des moyens. Les pays d’Europe du Nord, qui ont la taille des régions françaises, font des progrès remarquables dans ce domaine.
@ ! : Directement touchées elles aussi par ce réchauffement climatique, l’agriculture et la viticulture sont quelque peu tiraillées entre ceux qui veulent suivre des modèles conventionnels qui permettent de produire de la nourriture pour les populations, et sont plus vertueux, et un certain nombre d’acteurs, de plus en plus écolos, exigent plus des modèles flexibles et plus économiques. Comment gérez-vous ces deux tendances de fond en tant que moteur de la région ?
AR : Il faut surtout embarquer et convaincre autour de notre feuille de route Neo Terra et autour de l’agroécologie, les 90% d’agriculteurs conventionnels, et avec eux les chambres d’agriculture et de coopération agricole. Ensuite, un certain nombre d’impasses doivent être surmontées, dont celle des pesticides. Avec NéoTerra, je propose de se débarrasser des pesticides d’ici 2030. Il faut donc trouver des alternatives à ces apports chimiques issus de la synthèse et de la chimie fossile. Des produits alternatifs biosourcés et de biocontrôle existent ! Le problème est qu’ils ne sont pas homologués ou dans un délai monumental, par l’Anses. Nous avons par exemple un traitement contre le mildiou et l’oïdium, à base de microalgues ; mais ce n’est pas homologué. Vous pouvez expérimenter, mais vous ne pouvez pas l’utiliser !
Il existe à Agen une entreprise remarquable, De Sangosse, qui a développé un certain nombre de produits alternatifs et commence à les développer. Dans certains cas, vous devez demander l’agrément à Bruxelles ou dans un autre pays. Tout est surréaliste ! Nous avons de quoi rassurer nos agriculteurs, avec des produits efficaces, mais nous ne pouvons pas les utiliser…
Indispensable, l’irrigation reste @ : Il y a des produits chimiques, et il y a aussi la question des ressources en eau
A.R : Une autre impasse à surmonter, en effet, est l’accès à l’eau. C’est un vrai souci, et le ciel nous rappelle, si j’ose dire, qu’il faut donc agir vite. Beaucoup plus d’agriculteurs qu’on ne le pense sont convaincus que nous devons nous attaquer à ce problème. Mais comment garantir l’accès à l’eau lorsque le niveau d’eau est bas ? Dans le bassin Adour-Garonne il y a un déficit de 220 millions de m3 ! Et les systèmes d’irrigation resteront parce qu’ils sont essentiels pour un certain nombre de cultures. Nous travaillons sur l’idée de savoir filtrer les eaux usées des stations d’épuration afin de remonter cette eau et de l’utiliser pour utiliser l’eau. Créer ainsi une économie circulaire autour de l’eau, en parallèle d’une transition agro-écologique.
Je pense aussi qu’avant les conséquences du réchauffement climatique, notamment les récents orages de grêle dramatiques, le système d’assurance doit se développer. Pour un agriculteur, le passage d’un mode agricole à un autre, lorsque l’économie de l’agriculture est une économie annuelle, est psychologiquement une vraie difficulté. Nous avons besoin d’un système d’assurance beaucoup plus large, par exemple sur le revenu.
@ ! : Où en est-on du projet d’ouverture d’une école vétérinaire à Limoges de la région ?
A.R : Nous avançons à petits pas. Le ministère de l’Agriculture ne me dit ni oui ni non. Je ne peux pas financer les professeurs car je n’ai pas d’accord, mais je suis prêt à financer le projet : les bâtiments, les équipements. Nous avons un gros projet scientifique à Limoges autour de la théorie « One Health » _une seule santé_ qui réunit santé animale, santé humaine et santé végétale. Chez Pflanzengesonde, entreprise charentaise, Elicit Planta développe à partir du soja, un produit qui resserre les pores des plantes, ce qui limite le stress hydrique et les risques de maladies. Avec ce produit, presque tous les traitements chimiques sont éliminés.
@ ! : S’agit-il d’initiatives et de développements que la région soutient financièrement ?
A.R : On ne pourra pas réussir la transition agro-biologique si on ne fait pas d’efforts financiers et on ne pourra pas réussir la transition si la nouvelle économie, la nouvelle définition de la croissance, perd. Et je n’appelle pas ça décroissance, je n’aime pas ce terme. Oui, il faut être sobre, frugal, mais c’est une autre croissance : des modes de vie plus sobres dans lesquels on ne jette pas, et où l’on recycle.
Concernant la région, 25% des crédits agricoles vont à l’agriculture biologique.
La région soutient une économie décarbonée@ ! : On constate pourtant régulièrement que cet impératif de transition vers la « nouvelle croissance » se heurte rapidement à d’autres réalités contradictoires. Par exemple, La Rochelle, qui porte l’image d’une ville en transition, bénéficie également des retombées économiques du tourisme lié aux paquebots, qui ne sont pas sans conséquences environnementales…
A.R : Quand on discute avec le Club ETI (entreprise de taille moyenne, ndlr), la décarbonation est une de leurs priorités : toutes les entreprises, y compris du secteur alimentaire, et de manière accélérée avec la crise en Ukraine et la montée du prix de l’énergie, venez nous rendre visite afin que la région puisse les soutenir sur une économie et une fabrication sans carbone. Et il y a une exigence pour l’entreprise d’avoir des produits dont les effets sur la santé sont sans danger.
@ ! : En matière de soutien à l’économie, de réindustrialisation, d’innovation… La région intervient dans tous les secteurs. Comment lis-tu les priorités de ta communauté ?
A.R : La priorité est la transition climatique et environnementale. Il y a une feuille de route des biostimulants et du biocontrôle, mais l’industrie est aussi dans notre mire. Par exemple, au début de la pandémie en 2020, j’ai lancé un groupe de travail sur le biosourcing de médicaments, pour concevoir des médicaments à partir de plantes de résine cellulosique. Je suis surpris que 98 % des ingrédients actifs des médicaments viennent de Chine. Aujourd’hui avec la résine, la société DRT (Landes) fabrique des cosmétiques et des produits d’entretien ménager. Il pourrait très bien fabriquer des principes actifs de médicaments.
Il existe à Brive un laboratoire qui travaille sur les propriétés des plantes liées aux médicaments ou à la cosmétique. Il y a aussi Toopi Organics qui transforme l’urine en engrais, Optim aéro, une entreprise canadienne qui déconstruit des hélicoptères à Biarritz ; Les alliages IMET en Corrèze régénéreront les chutes de métaux précieux ; Envie à Saint-Loubès va déconstruire des cellules photovoltaïques et récupérer des métaux rares, mais aussi mettre les cellules sur le marché en bon état. Et encore l’entreprise Caresten à Lacq qui va déconstruire des aimants pour récupérer des terres rares. Toute cette dynamique c’est de l’économie circulaire !
A propos de l’automatisation, de la digitalisation, de l’organisation des postes de travail, le développement de l’usine du futur, que l’entreprise analyse à 360°, montre que la qualité de vie au travail est le premier ressort de la compétitivité, avec un bond de 30 à 50%. Le gauchiste que je suis, est à la fois amoureux des usines et attentif aux conditions de travail !
L’économie circulaire ne se décrète pas
@ ! : Ce prisme de l’économie circulaire est-il une approche assez récente de la politique régionale ?
A.R : Non, il y a 15 ans nous avons financé une chaire universitaire sur l’économie circulaire. Au début c’était plutôt une préoccupation d’économie sociale et solidaire et maintenant tout le monde s’y met. La France a pris du retard. Si nous ne mobilisons pas aujourd’hui les élus et les professionnels de terrain, nous n’y parviendrons pas. Je pense que ce sont les entreprises, les PME, les ETI qui progressent le plus vite. C’est un travail qui se fait tranquillement. Cela ne se décrète pas. Les entreprises qui viennent ici le font en raison de la réputation d’innovation de la région et des relations de confiance tissées à travers les plateformes technologiques. Ma préoccupation aujourd’hui dans le secteur de la santé est de mettre en place deux plateformes technologiques, l’une sur les biotechnologies et l’autre sur les maladies émergentes, après le Covid.
@! : Exactement ce que nous rappelle l’actualité sanitaire, avec une neuvième vague de Covid en France. La région Nouvelle-Aquitaine pourrait-elle intervenir une nouvelle fois en soutien aux acteurs économiques et associatifs dans un scénario de reconfinement, par rapport à ce qu’elle a pu faire en 2020 et 2021 ?
A.R : Nous avons triplé nos appels de prêts, notamment pour aider les clubs culturels ou sportifs qui ne pourraient pas survivre, pour éviter qu’ils ne sombrent, ainsi que les entreprises bien sûr. Notre inquiétude aujourd’hui vient du prix de l’énergie : on fait rouler 5 000 bus par jour, on fait rouler des TER, il y a des fluides dans les lycées : ça fait 80 millions d’euros de dépenses supplémentaires sur un budget de 3,3 milliards d’euros. Augmentation que nous éprouvons.
Dans le domaine de la santé, nous avons des problèmes de confinement comme l’achat de masques et d’équipements de protection individuelle. C’était assez étonnant de voir que l’État, lorsque la pandémie est arrivée, était dépourvu des produits de première nécessité. L’absence de masques et l’appel à la responsabilité communautaire avec une circulaire de 63 pages pour savoir comment on met les jeunes dans le bus et comment ils s’assoient dans une école… C’est humiliant ! Même dans un contexte dramatique comme le Covid, le modèle centralisé est humiliant et insoutenable !
@ ! : L’été est là, quel est le conseil touristique du président de Nouvelle-Aquitaine ?
A.R : Lac de Vassivière, Collonges-la-Rouge… Il faut se rapprocher des zones fraîches !
Par Solène Méric et Cyrille Pitois
Crédit photo : Région Nouvelle Aquitaine_Françoise Roch