L’aventure du géant chinois Huawei en France n’est pas loin d’être un long fleuve tranquille. Selon nos informations, la filiale française du conglomérat de télécommunications est désormais dans le collimateur de la justice. Tout est parti d’un signalement de l’agence française de lutte contre la corruption en janvier 2021. Son chef, le magistrat Charles Duchaine, a ensuite signalé au parquet de Nanterre, sur lequel est basé le siège de Huawei France (à Boulogne-Billancourt). Détournement de biens sociaux et fraude fiscale. Le parquet décide alors d’ouvrir une enquête préliminaire et la confie à la brigade financière de la préfecture de police de Paris. Cette enquête, toujours en cours, est un nouveau revers pour Huawei, qui n’a pas souhaité faire de commentaire, alors qu’il doit faire face à l’hostilité d’une partie de l’appareil d’Etat français depuis plusieurs années. .
Cela a conduit principalement à la mise en place d’une structure de surveillance unique pilotée par Sisse, le service secret économique de Bercy, et baptisée « Cerbère ». Créé fin 2015, alors qu’Emmanuel Macron était ministre de l’Économie, ce « dispositif national de veille et d’action contre les ingérences de Huawei » regroupe cinq ministères (Bercy, le Quai d’Orsay, le ministère de l’Intérieur, de la Défense et de la Recherche), l’intelligence. Services de la Police de la Cybersécurité (Anssi). Toujours en activité, ce comité secret passe en revue l’activité du géant chinois dans les domaines académique et scientifique. Huawei avait par exemple signé des partenariats avec le Commissariat aux énergies alternatives et à l’énergie atomique (CEA) et des contrats doctoraux (CIFRE) avec la prestigieuse école d’ingénieur Télécom Paris. En plus d’être confronté à l’agressivité de la Chine, le gouvernement a changé d’équipement l’été dernier et a ainsi demandé au CEA ou à Télécom Paris de mettre fin à leurs relations avec Huawei.
Relais d’influence
« Cerbère » s’intéresse également à la manière dont le groupe chinois s’appuie sur la notoriété de personnalités scientifiques ou politiques reconnues. Ce fut par exemple le cas de Cédric Villani, le célèbre mathématicien, lauréat de la médaille Fields, devenu député LREM en 2017. Annoncé dans le cadre d’un groupe de travail par le think tank Europanova, il accepte alors de présider le jury. programme de soutien de Huawei aux start-up françaises, Digital In-Pulse, et de participer à des conférences internes. Le rôle de Jean-Louis Borloo, administrateur de Huawei France de décembre 2016 à mai 2020, a également été observé de près. Il en est toujours ainsi, car selon nos informations, les enquêteurs de la brigade financière seraient intéressés par la fourniture par Huawei de plus de 200 caméras de vidéosurveillance à la ville de Valenciennes en février 2017. A cette époque, Jean-Louis Borloo, ancien maire de Valenciennes, venait d’entrer au conseil d’administration de la filiale française.
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L’ancienne ministre de l’Ecologie de Nicolas Sarkozy n’est pas la seule à avoir succombé à la sirène de l’entreprise chinoise. En septembre 2020, il est remplacé par l’ancien secrétaire d’État socialiste Jean-Marie Le Guen. Un mois plus tard, c’était au tour de l’ancien président de Polytechnique, Jacques Biot, déjà directeur de Huawei France, d’être nommé président du conseil d’administration, un poste qui était vacant depuis le départ, en 2018, de François. Quentin, ex-Thalès. Le nouveau patron a beaucoup investi dans la future usine de Brumath en Alsace, où Huawei entend créer à terme 500 emplois et installer son premier site de production d’antennes hors de Chine.
« Sinisation » des équipes
La filiale française, qui compte environ 1 000 salariés, a également subi de plein fouet la guerre économique sino-américaine. A l’été 2019, en pleine polémique autour de la 5G, la direction générale du groupe chinois a décidé de relier directement le service « Affaires publiques et communication » de certaines de ses filiales, comme la France ou l’Allemagne, au siège de le groupe. , à Shenzhen. Cela a coïncidé avec l’arrivée à Paris de Linda Han, 37 ans, moine-soldat et véritable patronne de Huawei France. Selon certains anciens cadres de Huawei, il aurait procédé à une « sinisation » des équipes, notamment avec l’arrivée de Han Qian. Passée par l’agence de presse officielle du gouvernement chinois, la Chine nouvelle, elle intègre au printemps 2020 un service « Affaires publiques et communication », qui passe de 10 à 25 personnes en quelques mois. En mars 2019, Huawei France a également décidé de porter plainte contre la chercheuse française Valérie Niquet pour des propos jugés diffamatoires par le groupe chinois. Le procès aura lieu cet été, avec Huawei une fois de plus dans le rôle de l’accusatrice.