Lignes interdites du cœur de Venise pour sauver la ville de …

Photo of author
Written By Sophie Ledont

Rédactrice passionnée qui a vécu dans plus de 25 pays toujours à la recherche de la dernière information.

Après plusieurs déboires, le gouvernement italien est finalement déterminé à interdire l’accès aux grands paquebots de croisière dans une partie de la lagune de Venise, déclarée site du patrimoine mondial par l’UNESCO mais menacée.

Bientôt la fin de la danse en ligne devant la place Saint-Marc ? La promesse ne s’est pas concrétisée tant de fois que nous n’y croyions plus. Mardi, cependant, le gouvernement italien semble enfin avoir donné suite à l’interdiction des navires de croisière à Venise. Une demande formulée il y a dix ans par les Vénitiens, par diverses ONG et aussi par l’UNESCO pour sauvegarder la beauté du site menacée par le tourisme de masse.

A partir du 1er août, les plus grands paquebots de croisière ne pourront plus s’arrêter dans le bassin qui longe la mythique place Saint-Marc, ni remonter ensuite le canal de la Giudecca. C’était jusqu’à présent la route vers le cœur de Venise empruntée par tous les paquebots transatlantiques entrant dans la lagune pour décharger des millions de touristes chaque année.

L’interdiction s’appliquera notamment aux navires de plus de 25 000 tonnes ou de plus de 180 mètres de longueur ou ceux qui dépassent de plus de 35 mètres de l’eau ou ceux dont les émissions contiennent plus de 0,1 % de soufre (la norme internationale est fixée à 0,5 %). Ainsi seuls les plus petits bateaux, d’environ 200 passagers, pourront continuer à accoster. Une règle très contraignante et courageuse : les croisières génèrent 400 millions d’euros par an de revenus locaux. Le chef du gouvernement italien, Mario Draghi, y voit « une étape importante pour la sauvegarde de la lagune vénitienne ».

Menace de l’Unesco

Ce décret-loi a été validé mardi en Conseil des ministres, trois jours avant l’ouverture des débats à l’UNESCO sous la stricte supervision de l’exécutif italien. Car Venise est un joyau inscrit depuis 1987 au patrimoine mondial, mais la ville pourrait bientôt faire partie d’une liste moins prestigieuse. En juin, l’UNESCO a menacé d’inscrire la Cité des Doges sur la liste du patrimoine en péril, qui recense les sites menacés. Le jugement est attendu dans quelques jours. Il appartient au Comité du patrimoine mondial, qui se réunit à partir de ce vendredi et jusqu’au 31 juillet à Fuzhou (Chine).

Pourquoi la situation à Venise est-elle si préoccupante ? La capitale vénitienne est régulièrement fragilisée par des inondations dont la fréquence et l’intensité sont renforcées par le changement climatique. Des barrages mobiles ont récemment été mis en service dans le but de protéger la ville des crues. L’amarrage des géants des mers au cœur de la ville n’arrange rien. L’Unesco s’en préoccupe publiquement depuis 2014, même si des inquiétudes sont présentes en interne depuis une trentaine d’années.

« La présence de navires de très fort tonnage dans une ville de gondoles, de paquebots et de palaces entraîne une perte d’authenticité et d’intégrité du bien. Cela n’a rien à voir avec le paysage et montre que Venise est sous la pression du tourisme de masse. De plus, le passage de grands navires génère un grave problème écologique. Ils polluent l’air et l’eau, endommagent les fonds marins et altèrent l’écosystème du lagon », résument-ils de la part de l’Unesco, contactée par Libération.

À Lire  Formation indispensable avant de partir en croisière hauturière

Venise est la troisième ville portuaire européenne la plus polluée pour les émissions des navires de croisière, selon une étude de l’ONG Transport & Environnement. Par exemple, en 2017, les 68 plus gros navires touristiques qui ont traversé la ville ont rejeté 27 tonnes d’oxydes de soufre, connus pour acidifier les milieux terrestres et aquatiques.

Dans son rapport de juin, l’UNESCO note que les précédentes tentatives de traque de ces engins polluants n’ont eu « aucun effet concret » en raison du manque d’installations adéquates pour accueillir les navires dans les ports voisins. Le drame du Costa Concordia en 2012, puis l’accident du paquebot MSC Opera dans le canal de la Giudecca (en juin 2019), ont en effet conduit à l’interdiction de bateaux gigantesques à Venise en 2013, 2017 et 2019. un échec.

Les croisières continuent à Monaco
A voir aussi :
Covid-19 a été annulé dans la pandémie.Dans les ports de la principauté,…

Rediriger vers d’autres ports

Cette année, le ministre du Patrimoine et des Activités culturelles Dario Franceschini a repris ses fonctions pour éviter à tout prix le statut de « en danger » par l’UNESCO, ce qui serait une « honte » pour lui. Si aucune mesure n’est prise, les sites inscrits sur cette liste pourraient éventuellement être exclus du patrimoine mondial. Un déclassement qui pourrait nuire à l’image de l’Italie et du tourisme.

Le mois dernier, après des mois de pandémie sans bâtiments flottants, le retour des croisières a également relancé la mobilisation des ONG. Des artistes internationaux comme le chanteur Mick Jagger, les réalisateurs Wes Anderson, Francis Ford Coppola ou l’actrice Tilda Swinton ont même tenté de faire pression dans une lettre ouverte adressée au président italien Sergio Mattarella, au premier ministre Mario Draghi et au maire de Venise pour demander un « arrêt définitif  » de la circulation des bateaux de croisière, précise le Guardian.

Est-ce le bon moment pour Venise ? Le manager italien ne jure que par lui. Les conditions sont maintenant plus favorables. Dès le début du mois d’août, les bateaux devront accoster dans le port industriel de Marghera, à une dizaine de kilomètres de La Serenissima. L’installation de pontons pour les paquebots a commencé. Le gouvernement italien allouera 150 millions d’euros pour poursuivre le développement du port. L’aide compensera les pertes des acteurs du tourisme. « Un bon compromis », a réagi le président de l’association des entreprises touristiques de la région de Vénétie, Confturismo Veneto.

Cependant, ce terminal ne devrait être que temporaire. Il permet d’éviter le centre de Venise mais reste situé dans une zone fragile. Attention à ne pas simplement déplacer le problème. L’UNESCO insiste : il faut trouver « de toute urgence » une solution à long terme pour maintenir les paquebots à distance, hors du lagon. L’idéal serait de rediriger les bateaux « vers des ports plus appropriés de la région », recommande l’Unesco dans son rapport de juin. Reste à savoir ce que décidera le gouvernement italien. Un « concours de bonnes idées » a été lancé fin juin pour imaginer une solution viable.

Les routes des paquebots à Venise (Alice Clair)