L’installation des médecins : démagogique pour les praticiens…

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Une quarantaine de députés ont déposé une proposition de loi qui obligerait les médecins libéraux à s’installer dans les territoires les moins touchés, pour lutter contre les déserts médicaux.

Créer une navette aérienne de 150 kilomètres permettant aux infirmiers d’exercer dans la Nièvre tout en résidant à Dijon (Côte-d’Or). Le maire de Nevers (Nièvre), Denis Thuriot (Renaissance), a voulu alerter par cette proposition audacieuse en novembre sur le manque de médecins qui empoisonne la vie de son département. Son cas n’est pas isolé : selon un rapport du Sénat publié le 29 mars, près d’un tiers des Français (30 %) vivent dans un désert médical.

Un autre moyen, moins coûteux pour le contribuable et l’environnement, prévoit le débat public : la réglementation de l’installation des médecins en fin d’études. Une proposition de loi est déposée à l’Assemblée nationale, conduite par le député socialiste de la Mayenne, Guillaume Garot. « La réglementation de l’installation signifie l’autorisation de l’installation en fonction des besoins sanitaires de la population », a expliqué le parlementaire au micro de France Bleu Mayenne. « Aujourd’hui, un médecin peut s’installer en France exactement où il veut », ce qui entraîne « des concentrations dans certains territoires, certaines zones, certaines villes, et des désertions dans de nombreux autres territoires ou départements ».

Des inégalités territoriales importantes

Il y a « trois fois plus de généralistes par habitant dans les Hautes-Alpes que dans l’Eure, 23 fois plus de dermatologues à Paris que dans la Nièvre, 33 fois plus de pédiatres à Paris que dans l’Indre », pointent 40 députés de toutes tendances politiques. , sur les origines du projet de loi, dans une tribune publiée dimanche 8 janvier dans Le Journal du dimanche.

Pour éviter de tels écarts, les élus du Palais-Bourbon préconisent donc de réglementer l’installation des médecins libéraux en s’inspirant des pharmaciens, qui n’ont pas la liberté de s’installer où bon leur semble. Mais les médecins ne veulent pas entendre parler de cette proposition, car ils ne l’aiment pas au niveau national. « C’est une mesure populiste, inefficace et peu éclairée », s’insurge le Dr Jean-Marcel Mourgues, vice-président du Conseil national des arts. Même son de cloche sur la page de Jérôme Marty, président de l’Union française pour la médecine libre (UFML), pour qui les déserts médicaux ne sont que le symptôme d’une maladie diagnostiquée de longue date.

« En l’état actuel des choses, l’obligation d’installation n’intéresse pas, indique Mélanie Rica-Henry, porte-parole du collectif Médecins pour matin, qui avec ses plus de 16.000 abonnés sur Facebook a lancé le mouvement de grève dans la pratique médicale de la ville. Début décembre « Il n’y en a qu’un si on a assez de médecins : on a fait ça il y a quelques années avec les pharmaciens, mais c’était parce qu’il y en avait trop. »

Une démographie médicale en déclin

Il faut dire qu’entre 2021 et 2030 un double mouvement entraînera une baisse du nombre de médecins. D’une part, le numerus clausus, en vigueur jusqu’à la rentrée 2020, a réduit le nombre d’étudiants en médecine. En revanche, les retraites vont augmenter, comme le souligne un rapport de la Direction de la recherche et de la statistique (DREES) publié en mars 2021.

Outre cette baisse du nombre de professionnels en exercice, le ministère a également calculé le rapport entre le nombre de médecins par habitant et l’évolution démographique du pays. Selon ses calculs, le niveau de 2021 de 214.200 travailleurs libéraux et/ou salariés sera globalement de nouveau atteint en 2036, après une baisse de 6% entre 2021 et 2028. « Si rien n’est fait, le pire est devant nous », a-t-il ajouté. met en garde. de leur côté, les sénateurs dans un rapport sur ce sujet publié en mars. « La perspective d’une décennie noire en termes de démographie médicale est une réalité », préviennent-ils, et prônent « un accord sélectif temporaire pour rééquilibrer les établissements dans les territoires sous-payés et rompre avec les fractures médicales inacceptables ».

Jérôme Marty n’avance pas seulement l’argument de l’évolution de la démographie avant la régulation de l’installation des médecins. En cas d’application de cette mesure, le président de l’UFML craint que les praticiens ne quittent le désert médical où ils seraient contraints de s’installer dès la fin de la période d’obligation. Un autre rapport de la DREES publié en décembre 2021 évoquait également ce cas possible.

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Le ministre de la Santé accepte également cet argument, et ajoute qu’il craint les effets des rafales de vent. Interrogé par France Bleu Maine sur un exemple de médecins partis de la Sarthe pour le Cotentin, bénéficiant à chaque fois d’aides publiques importantes, François Braun s’est opposé à cette illustration « des méfaits de l’obligation d’installation ». « Si on fait ça, les jeunes vont rester trois ans, l’aide en poche et aller ailleurs, poursuit l’urgentiste par la formation. Ce qu’on cherche, ce sont des moyens d’installer durablement des gens dans les territoires. , pas des médecins mercenaires. »

Des mesures d’urgence

Mais le temps est compté. Les élus locaux ont pris conscience de leur manque d’efficacité après des années d’incitations coûteuses pour les collectivités locales. « Aujourd’hui, en raison de l’urgence de la situation, je suis obligé de proposer rapidement des solutions à mettre en place », a déclaré Jérôme Nury à franceinfo. Député LR de l’Orne, il a cosigné le projet de loi pour réglementer l’installation des médecins en fin d’études, et est personnellement pour la mise en place de mesures plus contraignantes.

Au 1er janvier 2019, son département ne comptait que 161 médecins généralistes en exercice pour 279 942 résidents recensés par l’INSEE. « Les hôpitaux sont en feu, ils ne peuvent plus accepter de nouveaux patients » qui se tournent vers les urgences, faute de médecins disponibles, appuie le député. Malgré la mise en place de nombreuses mesures incitatives, l’élu peine toujours à attirer de nouveaux médecins. « Sur mon territoire, on propose aux praticiens des avantages fiscaux pendant cinq ans, il y a une aide à l’installation jusqu’à 50 000 euros. On nous a aussi demandé de créer des centres de santé avec des loyers dérisoires, alors que ces locaux ont été taillés sur mesure pour les professionnels de santé. proteste Jérôme Nury, on a tout fait !

C’est une question de vie ou de mort. Les mesures prises jusqu’à présent sont cosmétiques. Et tant que nous ferons des cosmétiques, nos territoires seront en danger.

Jérôme Nury, député LR de l’Orne

« La situation est tellement critique qu’il faut désormais trouver des solutions à court terme, estime le sociologue Frédéric Pierru. L’assurance maladie, comme tout le monde, et ceux qui n’ont plus accès aux soins. Ce n’est pas normal qu’ils paient leurs cotisations sans ayant . accès au même service ! » Et Nicolas Da Silva, économiste spécialisé dans la santé, déborde : « On voit bien que le problème n’est pas l’argent, car les collectivités sont prêtes à investir ».

« L’obligation d’installation est présentée par les syndicats libéraux de médecins comme contraignante, mais les autres professions de santé, dont l’installation est réglementée, acceptent cette situation, insiste Nicolas Da Silva. Et c’est le cas dans d’autres pays pour une raison simple. normal que les compagnies d’assurance-maladie qui financent les soins s’attendent à une indemnisation. C’est ce qu’a d’ailleurs défendu le ministre de la Santé sur France 2, le 5 janvier, lorsqu’ils ont été confrontés à la demande des médecins pour un doublement de la consultation. « Je suis prêt à augmenter cette consultation dès que les besoins sanitaires des Français seront satisfaits », a-t-il déclaré. Notamment, que « les 650.000 Français malades chroniques aient un médecin traitant » ou qu’ils aient accès aux « nuits, week-ends » et « jours fériés ».

« Beaucoup de médecins sont attirés par le salariat »

Or, il existe un accord entre médecins et économistes : l’installation d’un médecin sur un territoire est étroitement liée à son attractivité (présence d’une école, d’une garderie, mais aussi de restaurants, de cafés ou d’équipements de loisirs). Par ailleurs, « la médecine est souvent le deuxième métier du ménage, ajoute Jérôme Marty. L’homme a un métier, ce qui conditionne aussi la question de l’installation ».

Une autre tendance est également observée parmi la jeune génération. Avec la féminisation de la profession et un rapport au travail différent de leurs aînées, elles sont nombreuses à militer pour une pratique plus collaborative de la médecine. Comme c’est le cas dans les EHPAD, où le personnel médical et paramédical est salarié. « Il y a beaucoup de médecins qui sont attirés par le salariat et une pratique moins isolée de la médecine », confirme Nicolas Da Silva. En effet, en 2022, 22 % des médecins qui exerçaient seuls en 2019 ont changé leur pratique pour exercer en groupe, avec d’autres professionnels de santé, selon les chiffres du ministère de la Santé.

Une aspiration qui coïncide avec une promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Dans son programme de candidat aux élections présidentielles de 2022, il s’est engagé à doubler le nombre de centres de santé sur le territoire. Destiné cependant à trouver les médecins pour s’y installer.