15h35
, 22 juillet 2022
Aux États-Unis, le phénomène est appelé « la grande retraite ».
(« la grande démission ») ou « le grand démission » : en 2021, 33 % de la population active a démissionné. Ils étaient encore 4,3 millions à avoir fermé la porte de leur entreprise en mai. En France, près de 470.000 personnes ont quitté leur CDI au premier trimestre 2022, selon la Dares, le service des statistiques du ministère du Travail. « Un niveau inédit », en hausse de 20,4% par rapport à fin 2019. Et selon une étude de la Confédération des petites et moyennes entreprises, révélée jeudi par Europe 1
, 42 % des moins de 35 ans envisagent d’arrêter de fumer dans les 12 prochains mois.
Une tendance durable ? Pour Mathieu Plane, sous-directeur du service d’analyse et de prévision à l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), les chiffres français ne ressemblent pas à la désertion américaine. Il y voit le signe d’un marché du travail dynamique… qui pourrait s’inverser avec le ralentissement annoncé de la croissance.
Les démissions ont atteint un niveau sans précédent. Mais peut-on vraiment parler de « Grande Résignation » ?Ce terme vient d’un phénomène apparu aux Etats-Unis, mais qui est abusé en France. Grâce au Covid-19, les Américains ont quitté le marché du travail. Ces travailleurs sont passés de l’emploi à l’inactivité, ce qui signifie que le chômage est revenu à son niveau d’avant la crise, mais pas l’emploi. Ce phénomène peut être lié, entre autres, au système américain de sécurité sociale. De nombreux travailleurs utilisent des fonds de pension et des pensions capitalisées. Ils ont pu profiter de la crise pour arbitrer entre leur retraite potentielle et le salaire qu’ils pourraient obtenir dans un marché du travail dégradé. Rien à voir avec la France, où au contraire le nombre de personnes employées a augmenté. La France a même la particularité d’avoir créé 700 000 emplois de plus qu’avant la crise sanitaire.
Les gens abandonnent plus facilement lorsque le marché du travail est dynamique
Les Français ne renoncent pas à arrêter de travailler, mais à trouver mieux ? L’économie française connaît de nombreuses pertes d’emplois, une baisse du chômage, des difficultés de recrutement dans certains secteurs… Cela entraîne logiquement une augmentation du turnover du marché du travail. Les gens abandonnent plus facilement lorsque le marché du travail est dynamique. Les perspectives d’emploi et les opportunités de création d’entreprise sont plus nombreuses. L’évolution du travail peut également inciter un salarié à changer d’entreprise, comme sa rémunération, dans un contexte d’inflation. Et les entreprises sont plus compétitives. Il ne s’agit pas seulement d’une volonté de changer de vie, mais plutôt d’un élan favorisé par des éléments macroéconomiques. Il faut cependant relativiser : les démissions en CDI représentent moins de 8 % des ruptures de contrat.
Si cette proportion a augmenté, en 2007 le chômage était faible et la part des démissions dans le total des licenciements était plus élevée qu’aujourd’hui. Enfin, après dix années difficiles, nous nous rapprochons du marché du travail que nous connaissions avant la crise financière de 2008.
Avec les menaces qui pèsent sur l’économie mondiale, le vent va-t-il tourner ? Emploi qui tient très bien. C’est une question pour nous, économistes. Il est intéressant de noter que notre niveau d’activité au premier trimestre est équivalent à celui de fin 2019 alors que nous avons créé entre-temps 700 000 emplois. Paradoxalement, nous utilisons donc plus d’emplois pour créer la même valeur ajoutée, ce qui signifie que notre productivité diminue. La question est de savoir dans quelle mesure le marché du travail sera-t-il résilient ? Jeudi, l’OFCE a publié une prévision : nous supposons que le taux de chômage restera au même niveau en 2022 puis augmentera à 8 % en 2023-2024. Nous ne sommes pas à l’abri d’une baisse du marché.
Si le choc économique se transmet au marché du travail, cela crée de l’incertitude
Dans ce contexte, la « grande démission » se fait lentement, d’habitude, oui, ce phénomène va ralentir. Si le choc économique se transmet au marché du travail, cela crée de l’incertitude. Les salariés seront plus réticents à changer d’entreprise, au risque de ne pas être prolongés après leur période d’essai. Mais il n’y a aucune certitude. Le marché du travail n’est pas homogène. On peut très bien avoir un choc négatif dans certains secteurs, mais une dynamique dans les emplois qualifiés ou les postes de cadres plus favorables à la démission. D’autre part, ces démissions s’expliquent aussi par des facteurs structurels, avec de nouvelles aspirations post-crise. Il est difficile de discerner ce qui est de l’ordre de la situation et ce qui est de l’ordre d’un changement de mentalité.
Et les Etats-Unis, difficile de répondre car nos systèmes sociaux sont très différents. Les emplois sont actuellement importants outre-Atlantique. L’évolution de la bourse pourrait modifier l’échange entre le travail et la richesse financière.
Comment expliquer que l’emploi en France résiste, telle est la grande question. On estime que la France a créé 500 000 emplois de plus que la voie habituelle. Plusieurs voies peuvent être imaginées. Premièrement, les aides et aides pédagogiques extrêmement généreuses associées au Covid-19 ont pu créer des effets d’aubaine. Le pass sanitaire et les gestes barrières ont également contraint les entreprises à recruter davantage de salariés. Il est également possible qu’il y ait eu moins de travailleurs détachés pendant la crise sanitaire, poussant les entreprises à recruter des résidents. Par exemple, il existe de nombreux emplois dans le secteur de la construction. Enfin, face à la pénurie de main-d’œuvre, les entreprises pouvaient prolonger les contrats courts dont elles n’avaient pas vraiment besoin au cas où elles auraient du mal à recruter plus tard.
Il n’y a aucune raison de penser que nous créerons autant d’emplois avec si peu de croissance à long terme