C’est là que Julia Roberts a appris à porter un canot sur son dos. Il y a aussi que Natalie Portman se passionne pour la comédie. Où ? Dans un camp d’été ! « Les choses les plus cool que je connaisse, j’ai appris au Camp Birchwood, Minnesota », a déclaré Julia Roberts à USA Today. Il en va de même pour Natalie Portman, qui a passé plusieurs étés sur les planches des huit théâtres du Stagedoor Manor dans l’État de New York. Envoyer leurs enfants en colonie de vacances, une tradition typiquement américaine, est la nouvelle obsession des parents français. On ne parle pas de séjour linguistique UCPA ou d’échange de correspondants, mais de centres de loisirs 5 étoiles dans des lieux idylliques ou d’établissements haut de gamme.
Aux États-Unis, le camp d’été est généralement situé en pleine nature, au bord d’un lac privé. Les enfants, âgés en moyenne de 6 à 16 ans, séjournent dans des « cabanas », cabanes confortables, au milieu de la forêt, et multiplient les activités – ski nautique, tennis, rafting, tir à l’arc, équitation, golf, poterie… , danse… Le tout encadré par des professionnels, dont d’anciens entraîneurs olympiques. Les mieux notés ? Camp Wayne, en Pennsylvanie, où les filles sont séparées des garçons, Camp Cobbossee (réservé aux « garçons »), dans le Maine, Camp Robin Hood, dans le New Hampshire… Il existe aussi des camps « artistiques » comme le fameux French Woods, en l’État de New York, qui possède son propre orchestre symphonique, ou la Juilliard School au cœur de Manhattan. En Grande-Bretagne, les « internats », ou internats à l’anglaise, sont plus académiques mais tout aussi populaires, comme l’Ampleforth College, situé dans une vallée du Yorkshire, où l’on peut dormir sous des tentes et jouer au cricket ou au hockey. En Suisse, d’autres établissements sélects ouvrent leurs portes l’été, comme l’Aiglon College, la John F. Kennedy International School ou l’Institut Le Rosey…
Juilliard School, New York. Une école d’art réputée au cœur de Manhattan. © Getty
La facture peut grimper jusqu’à 10 000 dollars
Même population cosmopolite, même secret bien gardé sur les enfants inscrits. Au programme de ces « sessions d’été », des cours d’anglais le matin et des activités sportives ou artistiques l’après-midi. Au Stagedoor Manor, les réalisateurs viennent de Broadway pour former les enfants pour le spectacle final. Le coût ? « Exorbitant, mais ça vaut le coup ! », assure une Française résidant à New York, qui signe un chèque de 7 000 dollars par an pour que son fils franco-américain puisse faire du ski nautique ou du basket pendant deux semaines à l’Adirondack Camp, au bord du lac George. . La facture peut même atteindre 10 000 $ [environ 9 000 €] pour un séjour au Raquette Lake Camps dans l’État de New York ou au Camp Laurel dans le Maine. Sans oublier les billets d’avion. Pas de quoi décourager les parents, qui inscrivent leurs enfants au moins un an à l’avance.
La stratégie gagnante ? Dans la mesure du possible, misez sur le mois de mai, selon Sandra, mère de campeurs aguerris. Pour trouver le lieu de ses rêves, chacun a sa méthode. Faire des recherches sur internet, visionner des vidéos d’enfants postées sur des sites internet, passer en revue les éloges des parents… « Quand tu postules, tu ferais mieux de montrer tes références », poursuit Sandra, qui a proposé à sa fille un « riding camp » (un camp d’équitation) dans le Vermont. Il faut le nommer, dire qu’il vient sur les conseils de la famille Untel. Il n’est pas rare d’être sur la liste d’attente. « Les parents font même le déplacement pour visiter les installations. « Je ne lésine sur rien, ni sur la qualité des professeurs ni sur le nombre de jeunes français ! », raconte cette maman qui n’a pas hésité à envoyer sa fille de 10 ans seule avec une amie en Caroline du Sud pour qu’elle soit « en totale immersion ». « Le but est que les enfants pratiquent l’anglais ! Ce n’est pas le Club Med », insiste-t-elle. Les colonies de vacances les plus connues font même de la publicité dans certains établissements privés parisiens comme l’École Alsacienne ou l’école bilingue Jeannine-Manuel. Devant l’intérêt suscité par ces camps d’été, un nouveau métier a émergé : fixateur ! Olivia Bédier, une Anglaise installée à Paris depuis plus de vingt ans, a lancé School Britannia, une plateforme internet qui « place » les Français de 10 à 19 ans dans des internats outre-Manche pendant l’été. Le nec plus ultra pour devenir bilingue. Pendant deux ans, sous sa houlette, près de deux cents jeunes Français ont pratiqué la langue de Shakespeare à Oxford ou Cambridge ou sur des campus plus discrets mais tout aussi réputés.
École internationale John F. Kennedy, Suisse. © Alex Schwob
Escalader près de Gstaad, marcher… © Alex Schwob
Des amitiés faites pour la vie. © Alex Schwob
« Cette ruée vers les colonies de vacances sélectives équivaut à la bataille pour inscrire votre enfant dans des écoles prestigieuses pendant l’année scolaire. »
D’où vient cet engouement pour ces campings de luxe ? Louise Tourret, journaliste pédagogique et productrice à France Culture, a sa propre idée : « Les langues ont toujours été un facteur de discrimination sociale. Cet apprentissage n’est généralement pas très performant en France, il est donc tentant, sachant que cela peut faire la différence d’intégrer un secteur sélectif puis le monde du travail, de faire progresser vos enfants d’une manière différente. C’est le même principe des cours particuliers. La France est le champion européen de la dépense dans ce domaine. Le camp d’été, un défi éducatif pour les parents stressés ? « Avant, nous envoyions les enfants dans des familles à l’étranger. Aujourd’hui, les parents ont le sentiment que cela ne suffit plus pour préparer leurs enfants au monde compétitif de demain, analyse Anne-Noémie Dorion, co-auteure de « Fils et filles de… » (éd. La Découverte). Cette ruée vers les colonies de vacances sélectives est du même ordre que la bataille pour inscrire votre enfant dans des écoles prestigieuses pendant l’année scolaire. Dans l’esprit des parents, savoir parler anglais est un pré-requis. En plus de la maîtrise de la langue, vous souhaitez que votre enfant se sente à l’aise partout, s’immerge au plus vite dans une culture cosmopolite et se construise, pourquoi pas, un réseau international pour plus tard. »
Des summer camps où l’on apprend à « faire fortune »
Camp d’été, camp intelligent ? Le camp d’été, l’antichambre d’une vie « réussie » ? Certains n’hésitent pas à afficher la couleur. Ainsi, le site Adirondack Camp est fier de tous les bénéfices que les « campeurs » peuvent en retirer : en plus du « fun » affiché partout, et visiblement atteint, d’autres compétences sont mises en avant comme « l’empowerment », la « confiance en soi », « l’esprit d’équipe. » L’un des parents écrit même : « Ma fille est rentrée à la maison plus « affirmée » [sécurisée] grâce à la qualité des gens qu’elle a rencontrés. « Il y a aussi des colonies de vacances où l’on apprend à « faire fortune », comme Millionaire’s Camp à Santa Barbara. Pendant une semaine, les 10-14 ans s’initient à la finance. Sur le campus de Stanford, on apprend à coder une application. Encore plus avancés, des internats anglais comme Cambridge proposent des mini-MBA pour un été. « Dépenser entre 7 000 £ et 11 500 £ [entre 8 300 € et 13 700 €] par trimestre représente un vrai investissement, explique Olivia Bédier de School Britannia. Certains parents y voient une rampe de lancement de carrière pour leurs ados. » . »
Comme cette mère dont le fils aîné a décidé de poursuivre ses études en Angleterre : « J’espère qu’il trouvera un stage dans une entreprise là-bas et fera sa vie à l’étranger. Ce n’était pas prévu, mais c’est super pour lui ! » Selon Agnès van Zanten, une Sociologue du CNRS spécialiste des questions d’éducation, ces camps d’été feraient même le pont entre les classes supérieures et les classes moyennes, permettant aux classes supérieures de donner à leurs enfants des ressources supplémentaires pour accéder aux meilleures classes.« Le monde va de plus en plus vite », explique une mère dont la fille aînée a fait toutes ses études à l’école Jeannine-Manuel, et qui parle anglais et chinois. On ne sait pas de quoi demain sera fait, alors chacun prépare ses enfants de la meilleure façon possible. Des langues, des études et un bon réseau sont plus que jamais la meilleure assurance pour votre avenir. »
Bois français, NY. © Fête Française du Bois
Sports de plein air, cours de comédie musicale, orchestre symphonique, cerceau aérien… un cadre idyllique pour des activités de haut vol. © Fête Française du Bois
« J’ai découvert ma capacité d’adaptation. Cela m’a fait grandir. »
Mais toutes les familles n’ont pas la même approche utilitaire. « Je n’ai jamais inscrit ma fille à une session d’été pour réseauter ou trouver un mari riche ! dit Isabella, qui a envoyé plusieurs fois son adolescent aux États-Unis. J’ai vécu cette expérience en Californie quand j’étais jeune et cela a changé ma vie. J’ai beaucoup appris sur moi-même. Je voulais que ma fille jouisse de cette liberté. « Qu’on puisse percevoir ces camps d’été comme des clubs pour gosses de riches, enfermés dans la bulle de l’auto-ségrégation, agace aussi Léontine, 16 ans, campeuse d’été depuis ses 13 ans : « C’est vrai que c’est cher, qu’on est super privilégiés, mais nous sommes conscients de l’énorme chance que nous avons d’y être. Je me souviens d’un camp itinérant au cours duquel nous avons parcouru la Californie en van pendant vingt-cinq jours. Nous étions tous de nationalités différentes. Certaines filles ont travaillé pour financer le voyage. Ce fut une expérience unique, nous n’avons pas pris de douche pendant deux semaines, nous avons savouré chaque instant, j’ai découvert ma capacité d’adaptation. Cela m’a fait grandir. Grâce à notre groupe Facebook, nous sommes restés en contact. Le dernier jour à l’aéroport, nous pleurions. J’ai failli aller en Inde cette année pour faire de l’humanitaire. Le «charity camp» est la dernière tendance des colonies de vacances, qui ont bien compris les aspirations de ce jeune homme en or ouvert sur le monde. Des vacances alliant humanisme et apprentissage des langues organisées en Inde, en Afrique ou en Thaïlande. De quoi former de futurs philanthropes.
Cet article a été publié dans le magazine ELLE le 29 juillet 2016. Inscrivez-vous ici.