Urgences de la vie ou avis médical, les usages du numéro d’urgence 15 sont variés. Contrairement aux idées reçues, ce n’est pas un médecin du SAMU qui collecte, mais un assistant médical réglementaire. Découvrez ce métier méconnu.
Chaque jour depuis 17 ans, Jean-François sauve des vies. Cependant, il n’est pas médecin. Jean-François est assistant médical réglementaire (ARM) au SAMU de Clermont-Ferrand et son rôle est de répondre lorsque les patients appellent le 15. « Nous ne sommes pas des soignants. Le rôle d’un ARM est de répondre au 15, d’identifier le niveau de gravité et de prioriser l’urgence. Il y a l’urgence qui peut attendre avant d’être régulée et l’urgence qui entre en régulation immédiate par un médecin hospitalier du fait d’un éventuel engagement de l’équipe médicale du SMUR. Il y a aussi ce qu’on appelle le P0, qui est un engagement médiatique immédiat : un patient est sur le viaduc, quelqu’un passe à côté, le patient marche sur la balustrade et saute, ou un patient a mal à la poitrine et s’effondre. Nous engagerons une équipe médicale et à partir de là, nous aiderons les gens à agir. » Grâce à sa formation médicale, il connaît, en cas d’urgence, les gestes qui sauvent : « Nous sommes formés pour guider les gestes par téléphone. Avant l’arrivée de l’équipe médicale, nous leur donnerons les consignes : comment faire un massage cardiaque, comment arrêter un saignement… »
L’idéal pour ces professionnels est de répondre en moins de 90 secondes dans la mesure du possible, un objectif qui dépend du nombre d’appels reçus : « Le temps de réponse varie. Nous travaillons en temps réel. Nous sommes 6 autour de la table, si 20 personnes appellent en même temps, nous répondons les uns après les autres. Nous ne pouvons pas hiérarchiser les appels par défaut, nous ne savons pas ce qui se passe derrière un appel. L’objectif reste cependant de limiter le temps de collecte », explique Jean-François. Malgré le stress, il aime son métier : « Il peut y avoir de bons moments, comme une livraison qui se passe bien, il vit au téléphone. Quand tout va bien, c’est super, c’est un bon moment pour s’amuser. Cependant, nous sommes loin d’eux, ils sont seuls à la maison et l’accouchement a lieu. Mais quand le bébé va bien, la maman aussi, super ! Nous avons eu la visite de patients qui sont venus nous voir pour nous remercier. Parfois, nous recevons des lettres de retour… Mon équipe est contente de ce genre de choses. »
Ces assistants travaillent par quarts de 12 heures, de 7 h à 19 h et de 19 h à 7 h. Il y a 6 agents en service tous les jours et 7 le week-end. Le volume moyen est supérieur à 800 appels par jour et environ 300 dossiers patients. Le week-end, lors d’une épidémie par exemple, cela peut atteindre 900 dossiers en 24 heures. Le SAMU gère l’ensemble des soins médicaux du département. Ce ne sont pas des médecins mais ce sont quand même des professionnels de la santé : « Nous avons reçu des formations de médecins sur les pathologies : comment dépister un infarctus, quels signes rechercher… Nous avons aussi des formations sur tout ce qui touche à la traumatologie des accidents. Plus nous en prenons, meilleur nous devenons. Les médecins nous forment en permanence », raconte Jean-François.
Selon cette ARM, il existe 2 types de régulation : « Le SAMU c’est l’appel d’urgence, normalement on devrait recevoir des appels d’évènements comme des douleurs thoraciques, des AVC, des accidents… Mais aujourd’hui l’hôpital et les médecins sont débordés. Nous avons transféré les appels vers le centre 15, nous donnons donc également des conseils. Par exemple, un parent appelle parce que son enfant a de la fièvre depuis le matin. Il existe donc un règlement de médecine générale et un règlement SAMU. Selon le type d’urgence, Jean-François dispose de toute une gamme de ressources. « Vous pouvez avoir un règlement qui donne des conseils, le patient peut rester chez lui et appeler son médecin le lendemain. On peut obtenir des ressources, une ambulance privée par exemple, car le patient doit se rendre à l’hôpital pour des examens complémentaires. Le médecin généraliste du patient peut être appelé pour convenir d’un rendez-vous ou d’une visite. Enfin, nous avons l’envoi du SMUR, d’une équipe de réanimation qui ira au patient. »
« Le nouveau système d’accès aux soins augmentera le volume d’appels et nécessitera un recrutement important rapidement. »
Jean-François, assistant réglementaire médical
Le SAMU de Clermont-Ferrand compte au total 25 assistants médicaux réglementaires : « Nous avons des équipes expérimentées avec des personnes qui sont à Clermont-Ferrand depuis 10 ans. La nouvelle génération arrive car nous avons de plus en plus d’appels. Ils font compagnie. Ils viennent de l’école et on leur apprend les règles du travail. Chaque SAMU fonctionne différemment », explique Jean-François. En effet, selon lui, « Le nouveau système d’accès à la santé va augmenter le volume d’appels et nécessiter beaucoup de recrutement rapidement. Les ARM sont aussi appelées dans des situations exceptionnellement graves : « On y va en temps de crise, pour des plans ORSEC. Pour tous les accidents faisant de nombreuses victimes, nous effectuons les démarches administratives sur place à l’entrée de la PMA, le Poste Médical Avancé. Nous gérons toutes les entrées et sorties. C’est la seule fois où nous quittons le centre d’appels. Dans ce type de cas, il y aura aussi une cellule de crise ici au SAMU. Il y a tout le retrait du personnel, l’envoi des différents patients dans les différents hôpitaux… C’est une autre facette du travail ».
Dans le bureau voisin, Bruno, assistant réglementaire depuis 18 ans, est devenu un expert du traitement rapide de ces urgences. Dès qu’il l’attrape, il se lance dans une course contre la montre. Il doit obtenir au plus tôt les informations nécessaires pour porter secours, si nécessaire, à la victime : « Dès que l’appel est répondu, on a une idée de la situation, urgente ou non urgente. La priorité pour nous est d’avoir le l’adresse du patient ou de la victime, la plus précise possible, est pour nous la plus importante. Quoi qu’il arrive, si nous devons intervenir, nous avons besoin de l’adresse la plus précise possible. Ce n’est pas une perte de temps, dans les premières secondes, répondre à ces questions. Au contraire, c’est pour gagner du temps. Pour savoir comment réagir, Bruno doit bien comprendre l’état du patient : « On recherche les critères de gravité : saignement, douleur importante, et agir en conséquence. «
La priorité absolue de Bruno, lorsqu’il décroche : localiser précisément le patient. « En moins d’une minute, nous devons avoir l’adresse, la situation de la personne qui appelle et avoir pris la décision d’envoyer ou non des médias, ou de transférer au médecin régulateur. Urgence, on la sent vite. Lorsque vous avez une personne confuse ou paniquée, par exemple, vous n’avez pas à lâcher l’adresse. Sinon, on a des systèmes de géolocalisation avec envoi de SMS, quand les gens ne connaissent pas leur adresse. Sinon, nous sommes aidés par les pompiers qui disposent d’un système de géolocalisation grâce au téléphone. Si l’adresse est si importante pour ARMs, c’est parce qu’elle fait gagner de précieuses minutes qui font parfois la différence : la maison. Les secondes passées à demander l’adresse sont des minutes gagnées lors de l’intervention. »
Chaque jour, 6 assistantes médicales réglementaires répondent aux appels de tout le service.
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© S. Barlot/FTV
Pour faire ce métier, il faut avoir de l’empathie, aimer les gens, être pertinent…
Bruno, Assistant Réglementaire Médical
Bruno aime son métier, malgré les difficultés : « On ne sait jamais ce qu’on va trouver en décrochant le téléphone. Il peut s’agir d’un accident de bus, d’une crise cardiaque ou d’un enfant avec une fièvre de 38,5°C. C’est ce qui fait l’attrait du métier mais aussi sa difficulté car on peut gérer un appel grave, un accident de la circulation qui fait plusieurs victimes et la minute suivante la grippe. En 18 ans de carrière, il a répondu à des milliers d’appels, et certains restent gravés dans sa mémoire : « On a des appels qui nous marquent et qu’on garde en tête. Ce ne sont pas forcément des appels sérieux, ce peuvent être des appels qui nous touchent. Nous essayons d’être un peu managériaux car nous avons besoin d’informations, cela ne veut pas dire que nous ne sommes pas affectés par les appels. On a des montées d’adrénaline car il faut agir très vite pour activer des moyens, comme l’hélicoptère. Pour faire ce métier il faut avoir de l’empathie, aimer les gens, être pertinent… Il faut surtout savoir gérer le stress, c’est très important. Quand on répond, on entend des gens crier au téléphone, on prend ce stress. Il faut le mettre de côté et calmer les gens. Devoir calmer des personnes qui viennent de découvrir le décès de leur conjoint ou de leur enfant, par exemple, n’est pas chose aisée. Nous devons les calmer, obtenir l’adresse pour envoyer des ressources dès que possible. Au début, c’est dur. Nous ne devenons jamais insensibles. Pour moi, après presque 20 ans, il y a des appels qui me touchent encore. Le jour où ça ne me touchera plus, j’arrêterai. »
Quelques appels restent dans sa mémoire : « Un jeune homme, d’environ 35 ans, qui a fait un AVC hémorragique, qui était dans le coma. Je suis resté avec son partenaire au téléphone pendant environ 25 minutes en attendant de l’aide. Je suis resté avec elle pour l’accompagner. Elle ne voulait pas raccrocher, elle voulait rester avec les secours au téléphone et ça a pris du temps, pour elle comme pour moi. J’ai entendu respirer derrière le patient et j’ai su que c’était très grave. Je lui ai donné de l’espoir même si moi-même je n’avais pas grand-chose. » Bruno insiste sur le fait qu’il ne faut pas hésiter à appeler le 15. Cependant, il a subi quelques abus : « Il y a des choses qui nous font rire, parfois on rit très fort car ça nous prend du temps et parfois pas.Il y a des gens qui ont mangé un yaourt périmé la veille et qui nous appellent le lendemain parce qu’ils ont regardé sur internet ou demandé à des amis et ils ont dit que ça pouvait être très grave. des œufs… Cela peut parfois être embêtant. Quand c’est calme, ça nous fait rire, mais quand il y a beaucoup d’appels, on rit moins. On a des gens qui nous appellent après avoir quitté le cabinet avec leur médecin pour demander si l’ordonnance le médecin a donné est correct. Ce type d’appel, non. En cas de doute, revoyez votre médecin. Nous n’appelons pas le 911. Si nous sortons et 2 heures plus tard, nous avons un problème, bien sûr, nous pouvons appeler, mais pour une affaire médicale, pas pour valider une ordonnance. »
Les ARM sont accessibles 24 heures sur 24, 7 jours sur 7.
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© S. Barlot/FTV
Même si certains appels sont parfois fous, il insiste sur le fait qu’appeler le 15 est généralement une bonne solution : « N’hésitez pas à appeler le 15. Les gens ne sont pas médecins, ils ont des sensations d’urgence qui peuvent être différentes des nôtres, alors n’hésitez pas. D’un autre côté, nous devons avoir raison. Pour certaines choses, il est possible d’appeler votre médecin. Alors, pour la moindre douleur, le moindre doute pour un enfant, n’hésitez pas à appeler le 15. » Ainsi, différencier les appels urgents des moins urgents peut être un vecteur de stress. Pour Bruno, il ne faut pas hésiter à faire des pauses. « C’est beaucoup de responsabilités et beaucoup de stress. Vous avez besoin de partager des choses. Il ne faut pas hésiter, après un appel compliqué, à quitter les écouteurs et à aller faire un tour. Nous devons en parler. Une fois sorti du SAMU, vous devez tout laisser derrière vous et ne rien emporter chez vous. Heureusement, les assistants de répartition médicale ne sont pas les seuls à faire face à la détresse de l’appelant : « Lorsque vous avez un doute sur un appel, vous avez la possibilité de demander à un médecin de répartir l’appel. » . Le doute profite toujours au patient. »
Au cours de sa carrière, Bruno a fait face à de nombreuses détresses : « J’ai été au téléphone pendant au moins 30 minutes avec une dame qui voulait sauter du 7ème étage, par une nuit d’orage, avec des éclairs partout. Elle est partie en refusant que l’aide vienne Elle était debout à la clôture, prête à sauter. Je lui ai parlé de ses enfants, de tout et de rien. Ça a été long. Désormais, pour former ces agents en première ligne face à la souffrance, il y a le CEFARM : Centre de Formation des Assistants de Régulation Médicale. Bruno explique : « Cela fait 4 ans depuis l’affaire Naomi. On s’entraînait tard. Nous avons eu 3 mois de formation en bourse avec un ARM. Maintenant, nous avons un diplôme et c’est bon pour la formation ARM. C’est une reconnaissance de notre métier. Nous avons une grille de progression. Ils ont déjà des bases avec l’école. On leur apprend les spécificités clermontoises, on perfectionne leur empathie… »
Non loin de là, Denis Gonzales est médecin régulateur. C’est lui qui, après un premier filtre donné par l’ARM, s’occupe des appels urgents : « Mon rôle est de valider le classement qui est fait, d’abord, puis de produire la réponse la plus adaptée. Je suis appelé pour toute traumatologie, toute pathologie grave, tout ce qui nécessite une hospitalisation. Sur 1 000 appels, il y en a 200 à 300 qui nécessitent une régulation pour une assistance médicale urgente. Cela génère 20 à 30 sorties SMUR. Pour lui, la régulation médicale est une médecine de l’expérience : « Avec l’âge on devient un bon régulateur, on expérimente de plus en plus, on apprend la logistique du terrain. C’est un médicament pour la deuxième fois. Commençons par jouer à un médecin urgentiste, par exemple. Vous devez vous projeter comme si vous étiez sur les lieux de la survenance de la détresse. »
« Quand on donne des conseils et qu’on n’envoie pas de ressources, il faut être sûr de soi. »
Denis Gonzales, médecin régulateur