« Au début, personne n’aimait ce projet. On a juste écrit, c’était long. » A voir Jonathan s’exprimer si facilement devant un public d’adultes, on est loin d’imaginer que l’adolescent était encore rempli d’effroi à l’idée d’aller au tableau noir il y a quelques mois. Formé au système ULIS au collège Cleunay de Rennes (Ille-et-Vilaine), le jeune homme de près de 15 ans participe depuis quelques mois à un projet de « mini-entreprise ». Avec ses camarades de classe, l’élève de 4ème a imaginé une balle anti-stress avec des odeurs. Un projet qu’ils vont mener à bien toute l’année et dont ils vont devoir aborder tous les aspects : comment le fabriquer, puis le financer, avec quels matériaux et quel impact sur la planète… Cette idée, ce sont les élèves qui l’ont eu en s’asseyant autour d’une table pour parler de leurs peurs. « Pour nous tous, le gros stress c’était d’aller à la planche, c’est ça qui nous dérange. Ce ballon, ça pourrait nous permettre de nous détendre, ça pourrait aussi servir à d’autres », explique Léana, scolarisée en 4. la place à Cleunay .
L’adolescent, comme plusieurs autres étudiants universitaires, utilise le système ULIS. Ces unités locales d’éducation inclusive sont ouvertes aux élèves en situation de handicap mental, auditif, visuel ou moteur. « Je les appelle mes extraordinaires », glisse dans un sourire leur enseignante Marie Blais. Elle accueille chaque jour une demi-douzaine d’élèves dans sa classe de la 6ème à la 3ème pour leur proposer des cours adaptés au parcours de chacun. Un formidable moyen d’insertion qui permet de lutter contre le décrochage scolaire qui touche chaque année 90 000 jeunes français.
« Moi, je préfère être devant des grandes personnes »
Lorsqu’ils ne sont pas en ULIS, ces étudiants sont scolarisés dans un environnement « régulier ». Un excellent moyen de lutter contre la stigmatisation même si la vie n’est pas facile tous les jours dans ce monde en évolution rapide. « Je préfère être devant des adultes. Quand on parle devant la classe, ils sont trop excités. A la moindre chose, ils vont rire », raconte Chaïka, 13 ans.
En quelques mois, cet adolescent au large sourire dans ce projet de mini-entreprise a trouvé le moyen de s’épanouir et de travailler en groupe. « Et sans polémiquer », s’amuse Jonathan. Lancé fin 2022, ce projet vise à faire découvrir l’entreprise aux plus jeunes. En imaginant leur balle anti-stress, ces étudiants prennent progressivement conscience de l’utilité de leurs cours au collège pour leur avenir. « Quand on parle d’économie, on fait des maths. Quand ils préparent leur exposé, on utilise le français. Quand ils font leur affiche, c’est toujours du français », explique leur professeur.Une façon différente d’apprendre pour tous ceux qui ne se reconnaissent pas dans le système classique de l’éducation nationale.
Bientôt 500 projets de mini-entreprises en Bretagne
Les étudiants ULIS du collège de Cleunay ne sont pas les seuls à bénéficier de cette formation. Porté par l’association Entreprendre pour savoir, il devrait même être de plus en plus visible dans les établissements bretons. « Notre objectif est de doubler nos moyens pour tripler le nombre de projets et passer à 500 classes accompagnées », assure Gaël Le Bohec, président de la branche bretonne d’Entreprendre pour savoir et ancien député. Financée en partie par la Fondation AlphaOmega, l’association tente de lutter contre le décrochage scolaire en proposant des modes d’apprentissage alternatifs incluant les petites entreprises. Le but : donner à l’élève la possibilité de réaliser son potentiel. « En France, il y a 20% d’élèves pour qui l’école ne va pas bien. Il faut multiplier les actions de ces associations, qui s’associent à l’école pour leur donner le goût d’apprendre », a déclaré Elisabeth Elkrief, présidente de la fondation.
Après avoir présenté leur projet au rectorat et à la presse, les élèves du collège de Cleunay doivent désormais le révéler à l’infirmière de l’établissement pour avis et conseils. Une occasion de plus pour eux d’affronter leurs peurs et de se préparer aux rigueurs de l’âge adulte. « Au début, j’étais stressé, j’avais peur. Mais quand je vois ce qu’on a fait, je suis fier de nous. » Une chose est sûre. Le mini-business a déjà permis à Jonathan de se libérer.