« Encore cinq minutes de TikTok et je vais dormir. » Deux heures plus tard, les yeux tachés de rouge par la lumière de votre smartphone, vous scrollez toujours. Et comme tous les matins, quand ton réveil sonne à sept heures, tu te lèves de douleur en jurant de ne plus te faire prendre. Pourtant, les études sur l’impact négatif des écrans sur le sommeil, notamment celui des jeunes, ne manquent pas. Les spécialistes alertent depuis plusieurs années sur les troubles du sommeil, les problèmes de concentration ou encore les pertes de mémoire dues à l’utilisation répétée des écrans la nuit.
TikTok a donc décidé de s’attaquer à ce problème de santé publique – et de soigner sa réputation dans le processus. Le géant chinois travaille actuellement sur un outil pour inciter les utilisateurs du soir à s’endormir. Selon des informations confirmées par le site spécialisé TechCrunch, cette fonction, appelée « rappels de sommeil », permet aux utilisateurs du réseau social d’indiquer leur heure de coucher directement sur l’application et de recevoir une alerte lorsqu’ils vont dormir. Dès lors, TikTok suspendra les notifications pendant sept heures.
Moins de mélatonine, moins de sommeil
Car selon Armelle Rancillac, chercheuse Inserm en neurosciences au Collège de France, les écrans devraient idéalement être arrêtés une heure avant le coucher. « Nous parlons d’un couvre-feu numérique. » Et pour cause, l’utilisation croissante des écrans le soir perturbe l’endormissement : « La lumière bleue des écrans inhibe la production de mélatonine, l’hormone du sommeil », prévient le spécialiste. Et même si vous avez activé la veilleuse sur votre téléphone ou votre ordinateur, vous avez toujours le son : « Si le volume sonore est trop fort, il y a une suractivation des systèmes sensoriels, ce n’est pas propice au lâcher-prise », poursuit Armelle Rancillac.
Pour comprendre comment les écrans peuvent affecter le sommeil, vous devez d’abord comprendre comment cela fonctionne. Petit jalon. « Les cycles de sommeil durent 1,5 heure. Entre chaque cycle il y a un micro réveil, c’est physiologique, mais ça ne dure que quelques secondes. En moyenne, une bonne nuit de sommeil prend cinq cycles de sommeil pour les adultes, soit 7,5 heures de sommeil, et six cycles de sommeil pour les enfants, soit l’équivalent de neuf heures », explique le chercheur. Le plus important, souligne-t-elle, est de ne pas perturber ces cycles : « Si jamais il y a un stimulus, comme le son d’une notification ou la lumière d’une alerte sur un téléphone, cela peut perturber le micro-réveil et donc le cycle suivant. » .
Défaut de concentration et de mémoire
D’autant plus que les premiers stades du sommeil, c’est-à-dire ceux du début de la nuit, aussi appelés sommeil lent, sont essentiels. « Ensuite on travaille sur la mémoire. On regarde ce qu’on a appris ou vu dans la journée, on trie et on consolide. C’est aussi une des fonctions les plus importantes du sommeil », explique Armelle Rancillac.
Et un mauvais sommeil comprend aussi des problèmes de concentration : « TikTok, ce sont des contenus très courts qui se succèdent. On passe d’une vidéo à l’autre, donc notre cerveau est très réactif. Mais justement, ça peut aussi poser des problèmes de concentration plus longue, au travail pour les adultes ou en classe pour les jeunes », prévient le spécialiste.
Et chez les enfants et les adolescents, le sommeil a une autre caractéristique. C’est pendant le sommeil que le corps produit l’hormone de croissance : « Si jamais le sommeil est déstructuré, on peut interférer avec la libération de cette hormone », prévient-elle. Pour être sûr d’avoir une chance de son côté de se glisser dans les bras de Morphée, la scientifique conseille de désactiver les notifications ou de se mettre en mode avion.
« Ils commencent à prendre la mesure du problème »
Et si TikTok a pris cette décision, c’est principalement parce que l’application s’est rendu compte du nombre de connexions la nuit, notamment chez les adolescents et pré-adolescents, explique Stéphanie Laporte, fondatrice de l’agence Otta et directrice de la communication digitale à l’Inseec : « Tous les réseaux sociaux ont accès aux statistiques de connexion la nuit, ils commencent à mesurer le problème », estime-t-elle. Car le problème est loin d’être juste TikTok. D’autres géants du web se sont déjà penchés dessus. Par exemple, Apple et Google ont ajouté « dort » pour contrôler les notifications temporairement ou à certaines heures, comme la nuit. Que ce soit sur iPhone ou Android, on peut aussi programmer un temps d’écran pour une ou plusieurs applications ou un horaire maximum le soir. « C’est un problème de santé publique, il n’est pas propre à TikTok. Les plateformes ont toutes une responsabilité dans la gestion du temps d’écran », ajoute-t-elle.
Effet de communication ou véritable démarche ? Même si Stéphanie Laporte n’écarte pas une stratégie pour redorer leur blason, elle estime qu’il s’agit « d’un premier pas et d’un progrès ». « C’est presque une démarche RSE (Responsabilité Sociale des Entreprises). Il y aura certainement un peu de communication, mais au moins ils proposent une solution », dit-elle. Asseyez-vous et fermez l’application du jour au lendemain », admet-elle. Si les plateformes doivent mettre en place place « ces garde-fous », ils ne peuvent « pas se substituer à l’éducation parentale », poursuit Stéphanie Laporte, avant de poursuivre : « En plus, ne moralisons pas avec les gamins, c’est le même problème pour les adultes. Ils doivent se renforcer, montrer l’exemple. »
Pour l’instant, l’option est actuellement en phase de test et n’est disponible que pour quelques utilisateurs. Aucune date de lancement n’a encore été annoncée.