TÉMOIN. La rage des kinés entre excès…

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Written By Sophie Ledont

Rédactrice passionnée qui a vécu dans plus de 25 pays toujours à la recherche de la dernière information.

Après 10 ans de gel des prix et de baisse des rémunérations par rapport à l’inflation, les kinésithérapeutes dénoncent un nouvel accord de remise imposé par la sécurité sociale. Ils nous parlent du malaise dans la profession.

Bruno Pierre a créé son cabinet en 1999, à Picquigny, dans la Somme. Progressivement, en quelques années, il a vu ses dépenses courantes augmenter sans revalorisation des tarifs fixés par l’Assurance Maladie. Ses réserves ont fondu et cette année, pour la première fois, son exercice est déficitaire. Cela le pousse à réduire ses investissements. « Les charges sociales et courantes ont explosé. Nous sommes obligés de baisser le chauffage. Nous commandons moins de produits de massage, les huiles essentielles notamment qui ont augmenté de 60 %, les produits d’hygiène et de décontamination aussi. Nous ne pouvons pas nous permettre de renouveler notre matériel. La qualité des soins en prend un coup pour tous mes collègues », explique-t-il.

Après 10 ans de gel des prix et de baisse des salaires liée à l’inflation, les kinésithérapeutes sont à bout de souffle. Fatigue, inquiétude, découragement, colère, comme toutes les professions de santé, ils veulent faire entendre leur voix, à l’heure où une nouvelle convention avec l’Assurance maladie doit être signée.

Après 11 mois de négociations avec trois syndicats, la Caisse nationale d’assurance maladie a fait ses dernières propositions. Cette convention, qui lie les kinésithérapeutes à l’assurance maladie, est renouvelée tous les cinq ans. Cette année, c’est l’avenant 7 qui doit être signé, le 16 janvier, entre l’Union nationale des caisses d’assurance maladie et les syndicats de la profession.

La Fédération française des masseurs-kinésithérapeutes de réadaptation (FFMKR) a déjà signé la convention. Parmi les deux autres syndicats majoritaires, l’un (SNMKR) a refusé cet amendement, l’autre (Alizé) consulte les praticiens avant de prendre une décision. Le 16 janvier, date de conclusion ou non de l’accord, l’avenir des masseurs-kinésithérapeutes sera scellé pour cinq ans.

Le site de l’Assurance maladie annonce « un avenant historique de 530 millions d’euros (qui) implique une revalorisation significative de l’activité des masseurs-kinésithérapeutes ». Parmi les grands axes annoncés, le rôle du kinésithérapeute en prévention sera renforcé auprès des personnes en perte d’autonomie, en milieu scolaire notamment.

Nous nous sentons irrespectueux alors que nous travaillons 50 à 60 heures par semaine

Un kinésithérapeute basé en Isère

Concernant la revalorisation des tarifs, deux actes, essentiellement pratiqués par des professionnels, seront majorés à 18,06 € et 21,07 €. Soit une augmentation de 1,93 euros brut par acte, étalée sur trois ans. « Pour nous, c’est très peu. Ça ne rattrapera pas l’inflation, loin de là », indique une kinésithérapeute libérale iséroise qui souhaite rester anonyme et qui témoigne de la fatigue de ses confrères. « Nous sommes très déçus de cette convention, nous nous sentons méprisés alors que nous travaillons 50 à 60 heures par semaine pour accueillir les patients qui en ont besoin et nous débrouiller financièrement. Bientôt, il ne sera plus possible d’offrir à nos patients des soins de qualité, ni même un accès décent aux soins », explique-t-elle.

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Bruno Pierre, kinésithérapeute à Picquigny, dans la Somme, pratique la rééducation sur l’un de ses patients.

© Caroline Vigné

Afin de « valoriser l’intervention des masseurs-kinésithérapeutes au domicile des patients en situation de dépendance, les indemnités forfaitaires spécifiques de déplacement sont prolongées et valorisées à 4 € ». Les déplacements sont actuellement rémunérés à 2,50 euros. « Lors des déplacements au domicile des patients, la voiture nous coûte plus cher que le travail ne nous rapporte. Les aides-kinés ne veulent plus se déplacer. On nous incite à faire du travail à domicile, mais on ne nous en donne pas les moyens », réagit Bruno Pierre. « Avec le prix de l’essence, du parking, on perd de l’argent si on déménage. Les personnes âgées ont beaucoup de mal à trouver des kinés à domicile et ça ne va pas s’arranger », ajoute le kinésithérapeute isérois. .

Un point de cette convention soulève de nombreuses contestations. Les nouveaux diplômés devront travailler pendant au moins deux ans dans un établissement de santé ou médico-social d’une zone « sous-financée » afin d’être éligibles au contrat par la suite. Ou, dans un désert médical. « Cette injonction est très lourde, car ces jeunes vont devoir s’installer sur un territoire qui n’est pas forcément le leur et tout de même investir dans un logement après avoir financé leurs études, qui coûtent très cher », explique le kinésithérapeute isérois.

Selon la Fédération nationale des étudiants en kinésithérapie, un étudiant en kinésithérapie devra débourser en moyenne 7 572 euros pour financer sa rentrée et un quart d’entre eux sont contraints de contracter un emprunt, allant parfois jusqu’à 50 000 euros. « Dans certains territoires, nous avons des listes de patients qui s’allongent et avec cette approbation, nous aurons beaucoup moins de candidats pour les études de physio. »

« Ce matin, j’ai dû refuser une femme qui doit subir une rééducation pour un cancer du sein. Je n’ai plus de places. Si je l’accepte, je le ferai mal, faute de temps », annonce Jean-Marc Lascar, kinésithérapeute à Caudry, dans le Nord et Délégué régional du Syndicat national des masseurs kinésithérapeutes. « Cette mesure d’Assurance Maladie n’a pas de sens, car dans les zones bien dotées, nos agendas aussi sont pleins et les listes d’attente s’allongent. »

Un collectif de kinésithérapeutes a été créé il y a quelques semaines par un praticien du Nord de la France pour défendre les intérêts de la profession. Elle regroupe à ce jour 10 000 kinésithérapeutes libéraux français. Son objectif : alerter sur le malaise général rencontré par la profession via un groupe Facebook, Négociations kiné : tous concernés !

Capture d’écran du groupe Facebook Kiné Négociations : tous concernés !