Trois mois après qu’Elon Musk a repris Twitter, le réseau a déjà changé. En plus de la purge massive du personnel, les comptes « interdits » sont revenus tandis que les revenus publicitaires ont chuté de manière significative.
« Oh surprise, mon compte a été réactivé. Bonjour les amis », a écrit Silvano Trotta, figure bien connue du mouvement anti-vaccin, sur Twitter le 16 décembre 2022. En mars 2021, son compte a été suspendu pour avoir enfreint les règles en matière de désinformation. Concernant le Covid-19. Mais après avoir été présent sur le réseau social pendant plus d’un an, l’homme d’affaires alsacien annonce son retour triomphal. Depuis, il a re-partagé ses approches et, dans certains cas, de fausses informations, avec plus de 90 000 followers.
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La transformation de Twitter en un espace de liberté d’expression presque totale a été possible avec l’arrivée d’Elon Musk, le milliardaire américain, patron de Tesla, fondateur d’Ebay et fervent utilisateur du réseau social. Acheté fin 2022 pour la coquette somme de 44 milliards de dollars, il a provoqué un véritable tremblement de terre dont les premiers effets sont déjà visibles.
Une porte ouverte à la désinformation
Dès sa prise de fonction à la tête de Twitter, Elon Musk a pris une décision radicale. Il rétablit des milliers de comptes qui ont été interdits pour avoir enfreint les règles de la plateforme. Selon la newsletter spécialisée dans les plateformes, 62 000 comptes avec plus de 10 000 abonnés sont revenus sur Twitter. Dans les faits, il est difficile de mesurer le nombre exact de ces réactivations, mais les observateurs ont vu revenir des chiffres controversés. Parmi eux, on peut citer l’influenceur Andrew Tate qui se proclame misogyne. Son compte a été suspendu en 2017 pour avoir tweeté que « les femmes devraient avoir une certaine responsabilité » si quelqu’un est agressé sexuellement. Il y a quelques jours, l’Américain Nick Fuentes, suprémaciste blanc et néonazi bien connu outre-Atlantique, a également pu reprendre le contrôle de son compte. L’ancien soutien de Trump et maintenant directeur de la campagne présidentielle de Kanye West en 2024 a récemment qualifié Adolf Hitler de « tellement cool ». Cependant, il a de nouveau été suspendu dans les 24 heures suivant son retour après avoir partagé une image représentant un complot médiatique juif.
En France, la vague de réactivations de comptes semble moins importante. Mais cela n’empêche pas certains agents de désinformation d’être déjà remarqués. Ainsi, Silvano Trotta a publié un tweet dans lequel il déformait les conclusions des autorités sanitaires australiennes, estimant à tort que le vaccin augmenterait le risque d’hospitalisation. Ce tweet, bien que critiqué, a compté des milliers de partages, de « j’aime » et près de 190 000 vues.
« Ces comptes réinitialisés menacent d’accroître la désinformation, s’inquiète Chine Labbé, rédactrice Europe de NewsGuard. D’abord par ce qu’ils vont donner, mais aussi par le signal qu’ils envoient à d’autres acteurs qui pourraient être tentés de rejoindre la plateforme, y voyant du divertissement. . liberté d’expression absolue ». Pour Tristan Mendès France, professeur du numérique, contributeur à l’Observatoire du complot et coproducteur du podcast spécialisé Complorama, « ils étaient toxiques lorsqu’ils étaient suspendus. Et aujourd’hui ils reviennent avec le même capital sur un plancher favorable. pour eux. »
Pour quantifier les effets de cette recrudescence de la désinformation, NewsGuard a analysé l’activité des comptes Twitter associés à deux sites de désinformation francophones un mois après qu’Elon Musk a repris Twitter. Dans une information confidentielle consultée par la cellule de recherche de Radio France, l’organisme a constaté une augmentation de 36 % du nombre de tels tweets douteux (à savoir des likes, des partages et des commentaires) par rapport à la période précédente de son engagement : « Ce phénomène est long- terme, précise Chine Labbé. On assiste à une augmentation de la popularité des contenus de ces mauvais acteurs.
« Si vous payez, vous êtes visibles »
Lorsqu’il prend le contrôle de Twitter, le milliardaire décide de revoir complètement le système de certification de la plateforme. Jusqu’à présent, un badge de certificat bleu était fourni gratuitement par Twitter. Il permettait de vérifier l’identité de l’utilisateur et d’évaluer le sérieux de son profil, même imparfaitement.
Mais désormais, dans plusieurs pays, Twitter propose un simple abonnement pour obtenir ce sésame sur le site « Twitter Blue ». Pour huit dollars par mois, n’importe quel utilisateur de la plateforme peut afficher ce badge, ce qui lui confère un bonus algorithmique, donc une meilleure visibilité, quelle que soit la gravité des informations publiées. « Elon Musk a tué le dispositif des pastilles qui permettait de s’orienter en fonction de la fiabilité des informations, déclare Tristan Mendès France. Aujourd’hui, son idée c’est : « Si tu payes, tu es visible ». Peu importe ton expertise et ta légitimité.
Et en effet, le site complotiste français « Les DeQodeurs », inspiré du mouvement américain QAnnon, arbore désormais un badge certificat bleu sur son compte Twitter. L’abonnement Twitter Blue n’est pas encore disponible sur le sol français, a expliqué le site, car il est passé par un membre de l’équipe basée au Canada pour obtenir le sésame. « Avant, on n’avait pas le droit. Seuls les fans de rhétorique pouvaient l’avoir », peut-on lire dans un de leurs tweets.
Une modération en chute libre
L’ascension d’Elon Musk au sommet de Twitter marque également le début d’une vague de licenciements massifs. Le 4 novembre 2022, Twitter a licencié 50 % de ses effectifs mondiaux, soit 4 000 personnes. Cela réduit considérablement l’équipe Trust and Safety, qui est responsable de la sécurité des utilisateurs de la plateforme. Disparue également l’équipe « Droits de l’Homme », dont la mission était de s’assurer que la plateforme respecte les normes internationales en la matière, notamment celles des Nations Unies. Les modérateurs de contenu sont également concernés. Avant le rachat, Twitter comptait déjà moins de 2 000 utilisateurs dans le monde, avec 500 millions de tweets par jour.
La purge inquiète les associations qui se demandent comment Twitter va correctement modérer les contenus haineux et la désinformation. D’autant que les derniers chiffres cités par la presse transatlantique font état de nouvelles réductions d’effectifs. Seulement 1 300 personnes travaillent encore activement sur Twitter. Selon des documents internes consultés par la chaîne américaine CNBC, il y aurait 550 ingénieurs, et l’équipe Trust and Safety serait réduite à 20 personnes.
Elon Musk a réfuté ces chiffres dans une série de tweets, affirmant que « des centaines de personnes travaillent toujours sur la sécurité des utilisateurs ». Mais la tendance est clairement à la réduction des effectifs, car il estime que la modération, qui se fait déjà avec des algorithmes, pourrait se faire sans yeux humains. De son côté, Melissa Ingle, une ancienne ingénieure de Twitter qui a travaillé sur ces algorithmes de modération, s’interroge cependant sur l’efficacité de cette automatisation : « Les algorithmes ne peuvent pas tout voir, déclare l’ancienne employée. Ils passent tout leur temps à côté des tweets problématiques et ils ne voient pas les nuances. C’est pourquoi vous avez aussi besoin des humains.
Des procédures judiciaires en cours
Aux États-Unis, plusieurs anciens employés de Twitter ont décidé de porter plainte contre leur ancienne société. Dans un recours collectif déposé fin novembre, Twitter est accusé de ne pas avoir respecté le délai légal avant le licenciement et de ne pas avoir versé l’indemnité appropriée. « Je n’étais pas prêt à me battre pour ça. Je voulais avancer, déclare Emmanuel Cornet, ingénieur licencié chez Twitter, qui a rejoint le recours collectif. Mais j’ai des collègues qui étaient prêts. Je pense qu’ils font ça pour montrer que vous l’êtes. Il ne peut rien faire impunément.
Une décision récente a suspendu la possibilité pour ces anciens salariés de déposer un recours, mais permet à chacun d’entre eux de continuer à se défendre. Selon l’avocat qui les représente, depuis lors, plus de 500 autres personnes ont décidé de contester le montant des indemnités qu’elles ont reçues.
Des bureaux vides en Europe
Du siège de Twitter à San Francisco aux filiales de Rio, Singapour et Accra, personne n’a été épargné par cette énorme vague de départs. En Europe, en novembre 2022, les employés de bureau bruxellois fermaient. Les six employés de cette succursale belge étaient pourtant un point de contact important avec les institutions européennes. Dans le même temps, Damien Viel, jusqu’alors responsable de Twitter France à Paris, a annoncé qu’il ne travaillerait plus pour l’entreprise. « C’est fini! » a tweeté l’ancien numéro un sur Twitter en France. Fierté, honneur et mission accomplie. Au revoir #twitterfrance. Quelle aventure! Quelle équipe! Quelles rencontres ! Merci à tous pour ces sept années incroyables et intenses. » Difficile à ce stade de savoir quel sort a été réservé à la trentaine de salariés basés à Paris. Mais les bureaux de la capitale où nous nous sommes rendus semblent vides. Et les messages La lettre envoyée au quartier général américain est restée morte.
Ce silence est d’autant plus inquiétant que certains médias entretenaient des relations régulières avec les plateformes, principalement pour lutter contre la désinformation. L’Agence France Presse (AFP), par exemple, discutait d’un projet de vérification des faits en Amérique latine avec Twitter. Cette association a été décidée peu avant l’arrivée d’Elon Musk. Mais depuis, plus de nouvelles. « Certains des groupes avec lesquels nous pouvions communiquer n’apparaissent plus, regrette Julie Charpentrat, rédactrice en chef adjointe de la recherche numérique à l’AFP. Pour l’instant, nous restons dans le flou sur ce que nous voulons faire. Twitter. »
Une fuite des annonceurs
Cette série de décisions a également terni la réputation des réseaux sociaux. La baisse de 40% des revenus le prouve. Inquiets de la tournure des événements, 500 annonceurs ont déclaré mettre en pause leur partenariat avec la plateforme. Un coup dur pour le réseau social qui a toujours été déficitaire depuis sa création en 2006. Les revenus publicitaires constituent sa principale source de financement. « C’est le signe qu’il y a un mouvement dans l’industrie vers une meilleure modération, vers plus de transparence, quant à la façon dont nous gérons aujourd’hui notre liberté d’expression sur les plateformes sociales », déclare Julie Owono, directrice exécutive de l’ONG Internet Sans Frontières. . Mais pour le moment ce mouvement n’est pas suivi par Twitter, ce qui est inquiétant et regrettable pour la plateforme.
Dommage, peut-être, mais surtout très problématique dans un futur proche, du moins sur le marché européen. Car d’ici 2024 la loi sur les services numériques (DSA) sera progressivement appliquée. Cette nouvelle législation établit des obligations contraignantes qui s’appliqueront à toutes les plateformes numériques, y compris Twitter. Des obligations de modération, de moyens et de transparence dont le respect sera strictement contrôlé par la Commission européenne. « Si les plateformes ignorent leurs obligations, continuent de publier des contenus agressifs, empêchent les autorités d’entrer dans leurs algorithmes, ou gagnent de l’argent avec des messages soumis à la loi… Alors la sanction tombera », a prévenu la vice-présidente européenne Vera Jourova. Le comité chargé des valeurs et de la transparence.
Reste à savoir quelle sera la sanction. L’amende maximale prévue par la DSA est de 6 % du chiffre d’affaires annuel de l’entreprise sanctionnée. Mais la rivalité ira-t-elle aussi loin ? Avec une réponse attendue d’ici l’été 2023, le DSA devrait entrer en vigueur pour Twitter.