De Henry GIRARD – h.girard@charentelibre.fr,
publié le 6 janvier 2022 à 19h36, modifié le 9 janvier 2022.
Contre le désert des dentistes, un cabinet innovant à Limoges. Les actes urgents sont exécutés sans délai, mais sans remboursement. En Charente, également dépeuplée, l’ordre traverse.
Rien que l’urgence
Dans ce cabinet dentaire de Limoges, le téléphone a sonné en continu vendredi 31 décembre. « Oui bonjour, d’où viens-tu et comment t’appelles-tu ? » « ; « Je viens de Cognac, j’ai une terrible rage de dents »; « Tu l’as dit à ton dentiste? » « ; « Il ne peut pas me prendre pendant deux mois » ; « D’accord, pouvez-vous venir lundi? » Un silence puis une réponse : « Tu me sauves. La patiente ne fait pas la fine bouche, elle qui a doublé de volume : malgré les 150 kilomètres, malgré les deux heures de route et surtout malgré la RN 141 et sa valse infernale des poids lourds européens, le Cognaçais donne rendez-vous, également en fin de l’après-midi. « Quand on a mal, on est prêt à tout », assure le patron des lieux Nicolas Moyrand, enfoncé dans son fauteuil roulant, une main sur le téléphone, une autre sur le clavier de son ordinateur pour noircir son agenda. La semaine se remplit visiblement.
Ce constat essentiel demeure : dans le département de la Charente il existe encore de grandes difficultés d’accès aux soins dentaires. Une véritable définition du fameux concept de désert médical, auquel la Haute-Vienne n’échappe pas. Seulement à Limoges ils n’ont peut-être pas de dentistes, mais ils ont l’Asude 87. Assistance et services aux urgences dentaires, créé en 2018 par Nicolas Moyrand. Un objet médical non identifié, non agréé par l’assurance maladie, très peu pris en charge par l’Agence régionale de santé, qui répond pourtant à un besoin : « Traiter l’urgence, rien que l’urgence, insiste le fondateur. D’ailleurs, on ne compte plus les Charentais qui viennent chez nous. Bien sûr, cela vous coûte de votre poche. Ce qui se passe sous la roulette est hors du radar de la sécurité sociale.
Au boulevard Victor-Hugo 25, le patient est bien prévenu. Le prix trône à l’entrée du cabinet : consultation pour 50 euros, réparation de prothèse pour 90 euros ou encore extraction complète pour 140 euros. « Pour ceux qui passent devant la porte, je le répète, l’acte de soin n’est pas remboursé sauf pour certaines mutuelles, insiste Nicolas Moyrand. On ne trompe pas les gens. Notre service est celui que vous attendiez depuis des mois de vos Praticiens, sauf que vous l’aurez ici dans quelques jours.En Charente, où il est difficile de maintenir une densité de praticiens de 45 pour 100 000 habitants (70 nationaux, 89 en Gironde), le projet a de quoi faire rêver Les patients viennent, près de 120 par semaine.
C’est en 2017 que Nicolas Moyrand lance Asude. « A ce stade, on arrive à un alignement des planètes, estime l’entrepreneur. Depuis les années 1980, la politique de santé de l’Etat a tout fait avec le numerus clausus instauré dans l’enseignement médical. Il y a moins de médecins et ceux qui veulent ils ne s’installent pas partout. Cette pénurie arrive aujourd’hui et comme la nature comble un vide, de nouveaux services se créent. »
Il faut dire que Nicolas Moyrand ne reconnaît pas le système de soins à travers des lunettes hexagonales. Ce fils de diplomate qui a grandi aux USA a le libéralisme dans le sang. « L’idée de payer quelque chose est taboue en France, mais ce n’est pas l’esprit américain. Là, ce serait absurde d’attendre quatre mois pour réparer une équerre. » La confiance et le feeling de la formule de l’entrepreneur ont fini par convaincre Alain Simon, dentiste à la retraite, quarante ans de service en pratique privée. « L’offre de soins dans les territoires est réduite à un morceau, juge le dentiste. Et comme la retraite est longue, je me suis dit que retourner dans le service ne serait pas une mauvaise idée, si j’ai un savoir-faire dont la société manque beaucoup, je peux l’utiliser aussi, c’est un devoir. Carte moins vitale dans cette nouvelle aventure.
Urgence dentaire, que faire ?
A ses débuts, l’Asude 87 (association qui s’est rapidement transformée en société) a néanmoins entrepris des démarches auprès de l’ordre des dentistes et de l’agence régionale de santé pour être agréée. Réponse cinglante : « L’acte proposé n’est pas un acte de soin complet, question de financement. La liste des traitements réalisés est donc restreinte : une rage de dents, un abcès douloureux, une incisive cassée ou une couronne fixée, par exemple. cabinet est toléré à la place de Limoges, mais il est enquêté par des confrères.Quatre ans plus tard, « c’est eux qui nous envoient les malades », assure le tandem, qui prétend jouer un rôle régulateur dans cette histoire, quand son bureau des urgences « vacuum »: « Nous avons ouvert un cabinet à Guéret, Toulouse et Brive. en janvier, mais rien n’est prévu en Charente. Nous avons été submergés d’appels de collectivités locales désireuses de répliquer le concept. Sur le terrain on est barbouze. Demain ce sera notre modèle qui répondra aux carences de l’Etat. Inexorable dans la loi de l’offre et de la demande.